Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’entre nous, ceux-là qui sont capables de quelque énergie, sans déploiement de manteaux amples ni de larges phrases. Car il y a dans la frivolité de la vaillance et, vraiment oui, de la vaillance à la française. » Entendons, par là, moins la frivolité que l’absence de morgue et de pédantisme, la manière aisée de l’honnête homme qui sait sourire, tout en gardant le sérieux de la pensée et l’attachement à des principes nécessaires.

Voulez-vous voir de quelle ferveur et de quelle foi agissante M. Beaunier est capable quand il croit compromis tels de ces principes qui font partie de notre tradition ? Rappelez-vous sa campagne contre la réforme de l’orthographe. Il a vu dans le projet de réforme, et je crois qu’il a raison, non pas une tentative isolée, mais un des articles d’un programme, l’effet d’une conspiration qui s’est promis de détruire tout ce qui est l’âme même de notre antique et durable nation. Car les mots sont des êtres vivans et qui vivent précisément de la même vie que nous : en les adaptant à notre usage, nous les façonnons à notre ressemblance. A bien les regarder, ces mots, on y voit l’histoire d’une nation, non pas son histoire officielle, mais cette autre plus réelle, plus profonde, qui est l’histoire de tous et de tous les jours, le rêve intime de la race. C’est le Parlement qui a pris l’initiative de cette réforme, et cela même est déjà assez significatif : il est dit que chez nous rien ne saurait échapper aux atteintes de la politique, et prévaloir contre la puissance de destruction qui est en elle. L’Académie, consultée, a répondu que l’orthographe, avec ses apparentes singularités, rattache la langue dérivée à la langue primitive et qu’il ne faut pas altérer la physionomie des mots. Elle a montré peu d’empressement pour les réformes, mais sans oser refuser absolument toute espèce de réformes. « Il fallait tout refuser bravement, s’écrie plus bravement encore M. Beaunier. Car si l’on accepte quelques réformes, on n’a plus de bonnes raisons pour ne pas en accepter davantage. Le point où l’on s’arrête n’est qu’une limite arbitraire, tandis qu’il est logique de repousser par principe toute innovation. » J’aime cette belle intransigeance, et je la goûte d’autant plus chez un écrivain ennemi des violences… M. Faguet, chargé de rédiger le rapport, traita le projet des réformateurs avec une ironie dédaigneuse. « Il badine, remarque M. Beaunier, et il fait trop peu de cas de cette anarchie où se perdra la beauté du vocabulaire français ! » J’’aime cette sévérité ennemie du badinage chez un auteur qui vient de faire l’éloge de la frivolité… Puis, prenant en mains le rapport rédigé par M. Ferdinand Brunot dans le sens philologique et ministériel,