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ces œuvres qui s’imposent à l’esprit comme des formules universelles, ayant le caractère de « lois. » Un thème, un simple trait ou une cadence tragique, se répétant avec une insistance fatale autour d’un motif fastueux, éclatant en fanfare, — et voilà, par l’unique vertu de la ligne et du rythme, quelque chose d’inoubliable comme une mélodie de Monteverde ou de Carissimi. On devine l’empire d’une force inexorable, d’une nécessité terrible et auguste à la fois ; en même temps, la « gloire » propre à la Renaissance inspire cet ouvrage, et nous fait concevoir des pensées magnanimes, qui nous font souvenir de la noblesse humaine. On a dit que l’âme italienne est peu accessible au mystère ; c’est une opinion qui ne se soutient pas en présence d’une telle œuvre. Sans doute, ce n’est plus ici le mystère chrétien, le frisson de la chair devant les humiliations du tombeau, l’angoisse nerveuse et triste de la Danse macabre ; c’est une méditation générale sur la mort, une porte solennelle sur le royaume de l’ombre et de l’inconnaissable. On aborde ce seuil redoutable avec un sentiment stoïque et triomphal, comme aux sons d’une marche pour les funérailles d’un héros. Ce portail, cette sublime « ouverture » de Campo-Santo, est le morceau le plus italien qui se trouve sur le sol de France ; c’est l’expression parfaite de l’élégie monumentale.


Le reste de l’histoire de Châalis peut s’écrire en peu de mots. Des Este, l’abbaye, au XVIIe siècle, passa à leurs parens les Guise, puisa un d’Estrades, à un de Lionne. Le dernier abbé fut Louis II de Bourbon-Condé, le comte de Clermont, et celui-là fut désastreux. C’était un sang bizarre et hasardeux, que ces Condé : une race de maniaques, malades, frénétiques d’orgueil. Cela n’apparaît que trop chez le plus grand d’entre eux, celui qui sauva, et puis, de la même furie, faillit assassiner la France. Ce délire s’exagère encore chez ses fils et ses petit-fils. Chez ceux-ci, il affecte la forme de la folie de bâtir. Le duc de Bourbon étonna ses contemporains par les sommes fabuleuses qu’il engloutit en constructions : les babyloniennes écuries de Chantilly sont le témoignage superbe de son extravagance. Son frère l’abbé était bien de la même famille, mais il n’avait pas les mêmes ressources : il n’en fallait pas deux comme lui pour perdre Châalis.

Est-il vrai que le nouvel abbé conçut l’étrange projet de transporter chez lui le siège de l’ordre de Cîteaux ? En tout cas, il était inouï que Son Altesse Royale consentît à se loger dans le moûtier « gothique » qui avait servi avant elle à vingt générations d’abbés. Il lui fallait une demeure en rapport avec son état. Avec un vandalisme inepte, Monseigneur