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n’aimait que ses Français, recevait Rabelais, Marot, et se compromettait à plaisir pour Calvin, en tenant avec lui des conférences théologiques. Ceci justifiait des mesures de rigueur, qu’Hercule était ravi de prendre contre son avorton de femme. Mais tout finit par se savoir : il pouvait être dangereux de maltraiter la « sœur » du Roi. Que devenait l’alliance ? Le duc, dans ce cas difficile, confia le sort de la maison à son frère Hippolyte ; il l’envoya en ambassade auprès de François Ier.

Le bon apôtre joua supérieurement son rôle. Il fit parfaitement les affaires de son frère, mais il prétendait bien faire avant tout les siennes. Il convoitait le chapeau. Le Pape en exigeait quarante mille écus. Somme énorme pour les finances de Ferrare. Hippolyte cherchait à persuader son frère qu’il lui devait cela, qu’un cardinal peut toujours rendre de petits services dans une famille ; le duc feignait de ne rien entendre. D’autre part, le Saint-Père, qui avait sur le cœur le canon de Ravenne, ne voulait rien rabattre. L’archevêque ne perdit pas courage. Il n’y avait qu’un remède à la situation : la chasse aux grosses abbayes. Le saint homme s’y employa avec une patience admirable. Il était à l’affût des vacances du royaume. Il avait un système particulier de renseignemens ; quelque repu et goutteux Pater se sentait-il souffrant, avait-il une attaque, vite le prélat y dépêchait un émissaire à lui, l’installait à son chevet, recevait les nouvelles, épiait les progrès du mal ; lui, cependant, à Fontainebleau, sans faire semblant de rien flatteur, caressant, riant, s’insinuait dans les grâces du maître ou de la maîtresse. Alouettes lui tombaient en main toutes rôties. Il cueillait, raflait tout : il n’y en avait que pour lui. Il était la terreur de tous les porteurs de mître. Parfois, le mourant lui jouait le tour de ressusciter tout à coup : « Ingrats ! soupirait l’Italien. Je les guéris, et ils se plaignent ! » Enfin, tant de persévérance obtint le prix de ses peines. Hippolyte fut fait cardinal. « Il n’est rien tel que d’être grand, » disait cet homme de Dieu : c’est toute la devise du nouvel abbé de Châalis.

Cet imbroglio sent bien un peu la simonie, mais quoi ? C’était le train du siècle. Hippolyte d’ailleurs gagnait bien son argent. Cet Italien fut bon Français, meilleur et plus fidèle que plus d’un de chez nous. S’il coûtait cher, il servait bien. Il se conduisit avec honneur pendant le siège de Sienne, ce siège mémorable qu’a illustré Montluc. Pendant les guerres lamentables du règne de Charles IX, il ne tint pas à lui que les choses ne s’arrangeassent. Il était partisan de la conciliation. Il ne trouvait pas absurdes toutes les idées des huguenots. C’était un dilettante, de l’école de Léon X, un épicurien, un artiste qui avait fait ses classes à la cour de Schifanoia, dans le cercle incrédule de Boïardo et d’Arioste.