Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie, qui doit le conduire à la Jérusalem céleste ; il est assailli sur la route par mille ennemis conjurés ; par tous les vices qui le sollicitent ; par les périls qui le menacent, par le désespoir qui l’envahit, et par Satan lui-même qui a juré sa perte ; mais, avec l’aide de la Grâce, il échappe à tous ces périls et parvient heureusement au terme de sa vie. Ce n’est pas toutefois la fin de son voyage. Il lui reste à parcourir le cycle d’épreuves qui doivent le débarrasser des souillures contractées au cours de l’existence mortelle. C’est le Purgatoire de cette Divine comédie. Mais l’expiation ne finirait jamais, si l’infinie Miséricorde ne prenait sur elle de payer le reste de la rançon : il faut les mérites d’un Dieu pour combler le déficit des mérites du pécheur. Le troisième chant raconte ; donc le « Pèlerinage » de Notre-Seigneur et n’est autre chose qu’une vie de Jésus en vers, un texte rimé des Évangiles. Ainsi, l’œuvre de la Rédemption est parfaite, et le pèlerin arrive, avec le Sauveur lui-même, au but de son itinéraire.

Le poème de Guillaume offre plus d’un rapport avec celui de Dante. C’est par malheur tout ce qu’on en peut dire à son éloge : Guillaume de Deguilleville est un artiste pitoyable. Mais il écrivait en fiançais : c’était un immense avantage au XIVe siècle. Le chef-d’œuvre de l’Alighieri fut à peine soupçonné dans les pays du Nord ; oublié par les humanistes, qui se perdaient dans ses arcanes, il n’a repris que de nos jours sa place parmi les titres de la langue italienne et du génie humain lui-même. Cependant, répandue à d’innombrables exemplaires, l’œuvre du moine de Châalis se voyait traduite en quatre ou cinq langues ; elle devenait européenne.

En veut-on une preuve ? On admire à Venise, à l’Académie des Beaux-Arts, un merveilleux petit tableau de Jean Bellin, dont le sujet est une énigme : c’est la « Madone au Lac ; » et nulle part peut-être, mieux que par cette œuvre du vieux maître, on n’éprouve cette impression de mystérieuse poésie, que donnent certains tableaux de Giorgione ou de Titien, et qui est propre à cette école tant accusée de « matérialisme. » Le regretté Gustav Ludwig a reconnu dans ce tableau l’illustration d’un passage du Pèlerinage de l’âme : c’est le jugement de « l’Arbre Sec » et de l’ « Arbre vert, » c’est-à-dire une dispute, comme les aimait le moyen âge, sur le mystère de l’Incarnation. Mais voici qui est peut-être encore plus imprévu. Tout le monde connaît, au moins par Taine, qui en parle dans sa Littérature anglaise, le nom de John Bunyan, le chaudronnier visionnaire dont le roman, The Pilgrim’s progress, a joué chez nos voisins un rôle si important. On le trouve