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Ma chère amie espouse Alis,
J’ay faict un devôt monastère ;
Si vueil qu’il soit nommé Châalis,
Pour l’honneur de Charles mon frère…


(Il va sans dire que ce jeu de mots n’a aucune espèce de valeur. Châalis, Chailly, sont de vieux noms d’endroits marécageux. Mais la philologie du moyen âge est éperdûment allégorique. Et qui ne se rappelle les subtiles étymologies, les calembours mystiques de la Légende dorée ?)


Le premier siècle de la nouvelle abbaye répète un peu l’histoire de toutes les fondations analogues. C’est une histoire de donations, de testamens, d’aumônes : les grands événemens sont l’octroi d’une coupe de bois pour la construction de l’église, le don d’un champ, d’un pré, d’un étang, d’un moulin, d’une source dans la clairière d’Ermenonville. Châalis devint ainsi une des plus riches maisons de l’Ordre. La ferveur de ses moines la recommandait d’ailleurs aux largesses des fidèles. Ses abbés étaient renommés à la ronde pour leur vertu. Ils faisaient des miracles. L’abbé Guillaume fut élu archevêque de Bourges d’une manière surnaturelle. A sa mort, le pape Honorius, averti par un songe, l’inscrivit au nombre des saints sans autre forme de procès. Châalis essaimait à son tour ; on désirait au loin des « filles » d’une mère si parfaite : âgée à peine de trente ans, la jeune abbaye en comptait déjà deux, celle du Gard, près d’Amiens, et la Merci-Dieu en Poitou. C’est le moment de vive impulsion, de fécondité et d’élan ; moins d’un siècle après la fondation, les anciens bâtimens cessèrent de suffire ; on les remplaça par de nouveaux, plus convenables à la grandeur de l’abbaye.

Ces bâtimens sont ceux dont il subsiste les décombres. Ils donnent l’idée d’une œuvre de la plus rare beauté. Le Valois, si fertile en monumens illustres, n’en compte guère de plus intéressans. L’église, la partie la moins mutilée de ces ruines, est particulièrement précieuse. M. Eugène Lefèvre-Pontalis, dans une savante étude, en a fait ressortir l’originalité. C’étaient d’abord ses dimensions : près de cent mètres en longueur et de vingt-sept en largeur ; on voit que les moines avaient résolu de faire grand. Par une disposition tout à fait singulière, un transept immense, agrandi de chapelles rayonnantes, précédait un chœur fort étroit, où brillait seul le maitre-autel dans un isolement décisif. Mais la vraie nouveauté de l’église est ailleurs. Jusqu’alors, en effet, les architectes de Cîteaux n’avaient suivi qu’un style, qui semblait