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favorisé ce mouvement, encouragé cette ardeur, comme il a délibérément introduit au Japon les industries de l'Europe, parce qu'il a compris que la civilisation occidentale pouvait seule donner à son empire la richesse et la puissance. Mais ses goûts personnels l'attachaient au passé : il n'a pas visité l'Europe, il n'y a pas envoyé son fils, il a continué de vivre la vie d'autrefois ; quand il s'adressait à ses sujets, c'était pour leur recommander le respect des anciennes coutumes. Encore moins devons-nous chercher en lui une intelligence avide de changement, éprise de nouveauté, une de ces âmes que dévore le désir d'atteindre à une vérité plus complète, à une beauté plus noble, à une vertu supérieure. Cette fièvre, à de certains momens, beaucoup de ses sujets l'ont connue ; ils ont senti que l'art grec, le droit romain, les efforts séculaires de tant de penseurs et de savans et le christianisme avant tout ont donné à notre civilisation une force, une grandeur, où leur civilisation n'a jamais pu atteindre. Assurément le cœur de Mutsuhito n'était pas resté fermé à de pareils sentimens ; ce n'étaient pas les traditions de ses ancêtres qui l'inspiraient quand il fondait le sai sei kai ou d'autres institutions semblables, c'était l'exemple des missionnaires chrétiens, qui, les premiers, créèrent au Japon des hôpitaux, des orphelinats, des asiles. Mais, d'une manière générale, on peut dire qu'homme de tradition, Mutsuhito n'a jamais éprouvé le besoin d'une autre morale, d'un autre culte, d'autres croyances, d'autres idées, d'autres sentimens que ceux-mêmes de ses ancêtres. Le prince qui introduisit au Japon la civilisation européenne resta purement japonais ; le prince qui a fait plus que tout autre pour la rénovation de l'Asie resta purement asiatique. Ce furent les circonstances qui lui imposèrent la culture de l'Occident ; ce furent ses ministres qui l'étudièrent et la copièrent ; lui ne fit rien d'autre que de chercher à concilier leurs réformes avec les préceptes des ancêtres. Mais, en agissant ainsi, il empêcha la division des forces du pays, la scission du présent et du passé ; il permit au Japon de faire ce que la Chine, la Perse, l'Inde et la Turquie ont jusqu'ici vainement tenté de faire.


LA MEZELIÈRE.