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par la police. Le pays tout entier en éprouva de l’indignation : c’était la première fois dans l’histoire du Japon qu’on avait osé attenter à la vie de l’empereur. Aussi tous les coupables subirent-ils la peine capitale. Mais Mutsuhito, qui sentait décliner ses forces, résolut de montrer à son peuple toute son affection en fondant le sai sei kai ; cette association, que lui-même et ceux qu’il désigna dotèrent de quatre-vingts millions de francs, a pour but de créer des hôpitaux et des dispensaires gratuits dans toutes les agglomérations importantes.

Cependant les forces de l’empereur diminuaient ; seuls quelques intimes connaissaient son état ; mais, dans les dernières cérémonies, on avait remarqué la fatigue de ses traits et la lourdeur de son pas. Le 14 juillet 1912, il se sentit plus mal, le 19 il commença d’avoir la lièvre, le 20 la nouvelle de sa maladie fut rendue publique : étant donné l’étiquette de la cour, c’était faire prévoir un dénouement fatal. Mutsuhito habitait deux petites pièces du style japonais le plus simple, en partie meublées à l’européenne, où pour tout ornement on voyait sur une planchette quelques statues de divinités apportées de Kioto ; il reposait sur un lit placé au milieu de sa chambre ; les fenêtres ouvraient sur un grand jardin planté de beaux arbres, dont ces pins maritimes aux formes bizarres que les Japonais aiment tant. L’impératrice se tenait constamment auprès du malade, que soignaient les dames de la cour. Comme il avait vécu en souverain, Mutsuhito voulut mourir en souverain : chaque jour il recevait le prince impérial, avec lequel il essayait de s’entretenir, ses filles et ses petits-enfans ; dans un moment où ses souffrances lui laissaient quelque répit il demanda si le duc Katsura était arrivé à Saint-Pétersbourg. Mais bientôt la fièvre et la faiblesse lui enlevèrent l’usage de la parole et le plus souvent même sa connaissance ; dans les derniers jours, il ne survivait que grâce aux piqûres de sérum et à l’inhalation d’oxygène. Pas une plainte ne s’échappait de ses lèvres ; à ceux qui lui demandaient s’il souffrait, il répondait par un sourire ; il mourut doucement dans la nuit du 28 au 29 juillet, à minuit quarante-trois.

Tout était calme dans la chambre de Mutsuhito, tout agitation en dehors. Aussitôt la nouvelle de sa maladie connue, des prières s’élèvent dans tous les temples shintoïstes et bouddhistes, la foule s’y presse ; au lever du jour, on voit les fidèles