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de loi, marchands, artisans allaient tous aux partis avancés, progressistes d'Okuma épris de l'Europe, radicaux d'Itagaki désireux d'achever les destructions commencées par la Révolution. Le ministère Kuroda (1888-89) n'avait pas osé affronter le Parlement, les ministères Yamagata (1889-91) et Matsukata (1891-92) ne l'affrontèrent que pour devoir bientôt se retirer, Ito lui-même (1892-96), le fondateur de la Constitution, dut demander deux fois au souverain la dissolution de la Chambre.

Mutsuhito ne se découragea pas ; il venait de comprendre quelle nouvelle tâche lui incombait ; la féodalité avait divisé le Japon pendant trop de siècles pour que les habitans de ses nombreuses îles, des diverses régions de la grande île pussent, après quelques années de gouvernement commun, se considérer comme des frères ; la Révolution avait suscité entre les différentes classes des haines trop profondes pour qu'une Constitution pût les apaiser. Seul le patriotisme était capable d'unir ceux que tant de souvenirs, tant d'intérêts divisaient. Mutsuhito se rappelait ces heures dramatiques de son enfance où la foule se précipitait aux pieds de Komei pour le supplier d'empêcher l'établissement de l'étranger sur le sol national. Or ce sol, l'étranger l'occupait encore. Dans Yokohama et les autres ports ouverts, les concessions européennes étaient de petites villes soustraites aux lois du pays et à l'autorité de son souverain. Depuis quarante ans on cherchait à faire réviser les traités de 1854 et de 1858, où le Japon, trop faible, avait dû aliéner une partie de son territoire. Cette révision, Ito l'obtint enfin en 1894 et ce premier succès, l'enthousiasme produit dans le pays montrèrent à Mutsuhito qu'il avait choisi la bonne voie.

Il voulait davantage. Les meilleures qualités des Japonais avaient toujours été leurs qualités militaires : c'est en combattant qu'ils avaient appris à suivre aveuglément leurs chefs, à se lier les uns aux autres par une étroite fraternité d'armes, à mépriser le mensonge, à dédaigner la souffrance et la mort ; pour cette morale on venait de trouver son nom véritable : bushido, morale militaire. L'empereur résolut donc de refaire l'unité et le cœur de son peuple dans la guerre.

La Chine disputait alors au Japon la prédominance en Corée. Ito désirait la paix, mais l'empereur se servait de ses ministres sans se laisser dominer par eux. Pendant qu'Ito négociait, Yamagata entraînait l'armée et maintenant Yamagata la disait