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à ceux qui l’ont combattue, tous perdent leurs états et leurs biens ; les clans sont supprimés, les anciennes provinces sont remplacées par des départemens. C’est ensuite la loi agraire : toutes les terres appartiennent en droit aux clans, en fait aux daimio et aux samurai ; on les leur confisque ; les forêts et les montagnes sont attribuées à l’État ou aux communes, les terres cultivées aux paysans. Comme indemnité, daimio et samurai doivent recevoir des pensions ; ces pensions, l’État, sans ressources, ne peut les payer ; on les rachète de force contre une indemnité dérisoire ; les 1 500 000 samurai sont réduits à la misère. Ils ne forment déjà plus la caste militaire, ils n’ont même plus le droit de porter leurs sabres ; pour les tenir en respect, on a constitué une armée de paysans commandée par les chefs des anciennes troupes révolutionnaires. La principale classe ainsi frappée, l’ancienne société peut disparaître tout entière : on abolit les castes privilégiées, les castes infâmes, les gildes et même toutes les associations. Puis on s’attaque à la religion : le bouddhisme est déchu de son rang de religion officielle, ses biens sont confisqués, ses principaux temples donnés au shinto. Enfin on détruit l’ancienne constitution de la famille par le fameux rescrit qui déclare : « Les recensemens ne seront plus pris par famille, mais par individus. » Bientôt pourtant les révolutionnaires s’aperçoivent qu’il ne peut exister un État, une société dépourvus de toute institution ; alors, leur haine du Vieux Japon leur faisant oublier leur ancienne haine de l’étranger, ils prétendent imposer au pays les institutions les plus contraires qui se puissent rencontrer, celles de l’Europe, et de l’Europe révolutionnaire.

Aussitôt la guerre civile recommence. Saigo, qui haïssait le shogunat, mais qui hait autant la Révolution, veut sauver les samurai pour sauver avec eux le Vieux Japon : avant qu’on ait formé une armée nouvelle, il prendra le commandement des samurai, les conduira contre la Corée et contre la Chine. Itagaki, qui souhaite au contraire de pousser la Révolution à ses conséquences extrêmes, cherche aussi à sauver les samurai parce qu’il juge le peuple trop peu formé pour fonder une démocratie véritable et qu’il pense y réussir avec l’aide des samurai d’idées avancées. Saigo et Itagaki s’unissent donc, entraînant Eto, qui vient d’introduire les codes français, Maebara, le vice-ministre de la guerre, d’autres encore. Iwakura, Okubo, Kido