Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du respect du professionnel pour sa profession et de la ferveur avec laquelle il la pratique. A égalité de génie, le meilleur professeur de danse est celui qui, comme celui de Molière, ne voit pas dans le monde d’art plus utile que la danse, et le meilleur médecin est celui qui croit profondément que la médecine guérit. Et si les défauts que cette conviction donne sont les signes du sérieux du professionnel, ils en sont aussi les garans. Ne raillons pas les ridicules professionnels, parce qu’en raillant quelqu’un sur sa profession, nous lui apprenons à s’en railler lui-même, et cette dérision est une désertion. Il faudrait apprendre à chacun à se ridiculiser personnellement plutôt qu’à ridiculiser son métier et beaucoup mieux vaut celui qui dit : « Je suis ridicule, mais je suis avocat, » que celui qui dit : « N’était que je suis avocat, je n’aurais pas de ridicule. »

C’est surtout comme psychologue des femmes que Mme  de Girardin tient un très haut rang. Elles les a observées sans cesse et avec un regard assez bienveillant, si vous voulez, mais enfin qu’on ne peut pas dire qui fût aveugle. Elle a très bien vu que les femmes, sans doute sont envieuses, mais que cela tient à ce qu’elles sont plus modestes que les hommes : « Les hommes se croient tous charmans ; cela les préserve d’être envieux ou du moins cela fait qu’ils ne le sont que quand ils ont un sujet d’envie… Les femmes, plus modestes, ayant plus le temps de s’observer, s’aveuglant moins sur elles-mêmes, dès leur entrée dans le monde éprouvent une jalousie vague, une inquiétude humble qui les rend envieuses d’avance… » De là leur état de rivalité perpétuelle. De là l’impossibilité où elles sont d’entendre faire l’éloge d’une autre femme : « On ne loue jamais bien une femme quand on en loue deux. »

Un défaut commun aux hommes et aux femmes ou plutôt à beaucoup d’hommes et à beaucoup de femmes, et beaucoup plus grave chez les femmes que chez les hommes, c’est d’être livresque, c’est d’être fait avec des livres. La femme faite avec des livres est d’autant plus odieuse qu’elle est une créature d’instinct, qui, quand elle s’est refabriquée littérairement, sort de sa nature et s’y oppose beaucoup plus que toute autre créature : « Les femmes littéraires sont un des fléaux de l’époque ; les plus beaux sentimens sont gâtés, dénaturés, frelatés par ces souvenirs de lecture… On n’aime plus un beau jeune homme parce qu’il plaît ;