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assignant à chaque chose ses limites infranchissables ; elle nous donnera des raisons de douter, mais en même temps des raisons d’agir, et d’aimer le beau et le vrai, bien qu’ils soient peut-être inaccessibles. Est-ce que nous n’aimons pas les étoiles, bien que nous ne puissions les toucher ?



« Pour un observateur superficiel, la vérité scientifique est hors des atteintes du doute ; la logique de la science est infaillible, et si les savans se trompent quelquefois, c’est pour en avoir méconnu les règles.

« Les vérités mathématiques dérivent d’un petit nombre de propositions évidentes par une chaîne de raisonnemens impeccables ; elles s’imposent non seulement à nous, mais à la nature elle-même. Elles enchaînent pour ainsi dire le Créateur et lui permettent seulement de choisir entre quelques solutions relativement peu nombreuses. Il suffira alors de quelques expériences pour nous faire savoir quel choix il a fait. De chaque expérience, une foule de conséquences pourront sortir par une série de déductions mathématiques, et c’est ainsi que chacune d’elles nous fera connaître un coin de l’Univers.

« Voilà quelle est pour bien des gens du monde, pour les lycéens qui reçoivent les premières notions de physique l’origine de la certitude scientifique. Voilà comment ils comprennent le rôle de l’expérimentation et des mathématiques. C’est ainsi également que le comprenaient il y a cent ans beaucoup de savans qui rêvaient de construire le monde en empruntant à l’expérience aussi peu de matériaux que possible. »

Cette conception dont Poincaré entreprend d’abord de montrer la fragilité, et qui prétend ramener tous les phénomènes au temps, au nombre et à l’espace, nous a été léguée par les traditions des xviie et xviiie siècles. La « mathématique universelle » dont le rêve esquissé par Descartes a été poursuivi par les grands encyclopédistes, exprimerait ainsi l’essence même des choses, sous une forme absolue, définitive, participant de l’évidence même de la géométrie ; la matière qui, d’après la conception cartésienne, aurait toutes ses propriétés réductibles à l’étendue et au mouvement, n’aurait pour nous plus rien de caché. Ce rêve ambitieux n’est pas seulement, comme le dit Poincaré, celui des lycéens et des gens du monde ; encore de