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qu’ils représentent ; leurs perplexités sont naturelles, mais les conséquences en sont funestes. N’a-t-on pas dit qu’il valait mieux avoir une mauvaise politique que de n’en avoir aucune ? Cela n’est pas toujours vrai, car les Jeunes-Turcs avaient une politique qui, étant mauvaise, ne leur a pas réussi. Il faut pourtant en avoir une, et c’est ce dont le ministère Mouktar pacha paraît incapable. On le savait, mais on comptait sur Kiamil : d’après les dernières nouvelles, il refuserait le grand vizirat. S’il persiste dans son refus, la confusion augmentera encore.

Qui pourrait s’étonner que M. le comte Berchtold se soit ému de tout cela ? Il ne s’en est pas préoccupé seulement au point de vue autrichien, il l’a fait encore au point de vue européen. L’Autriche a sans doute des intérêts politiques importans dans la péninsule balkanique ; elle leur a donné une satisfaction récente par l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie ; mais rien n’autorise à mettre en doute sa sincérité lorsqu’elle affirme qu’elle veut s’en tenir là, au moins pour le moment, et que le maintien du statu quo est le seul but qu’elle se propose. En conséquence, M. le comte Berchtold veut aider la Porte, directement par ses conseils ou plutôt par ceux de toutes les puissances, indirectement par ceux que les puissances donneront aussi aux États balkaniques. Pour déterminer quels seront ces conseils, M. le comte Berchtold invite les puissances à échanger leurs vues et il donne par avance un aperçu de ce que sont les siennes, en disant qu’il convient d’encourager la Porte dans les voies de la décentralisation où elle est spontanément entrée après la chute des Jeunes-Turcs, et de recommander la modération aux États des Balkans.

A parler franchement, on a été un peu surpris de l’initiative prise par l’Autriche ; elle était inattendue, même à Berlin, paraît-il. En agissant comme il l’a fait, le comte Berchtold a imité le comte, alors baron d’Ærenthal, qui a procédé à l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie sans s’être entendu avec personne, pas même avec ses alliés ; mais où l’imitation cesse, c’est dans l’appel qu’il a adressé à toute l’Europe pour la convier à se mettre d’accord sur une politique commune. Cette nouveauté a produit une bonne impression : on a cru y démêler que l’Autriche renonçait à jouer un rôle à part, isolé, personnel, pour rentrer dans le concert européen. Comment n’aurait-elle pas été bien accueillie dans cette attitude nouvelle ? Elle devait l’être d’autant mieux que la politique qu’elle conseillait était celle de tout le monde. Il fallait, bien entendu, l’expliquer d’une manière un peu plus précise, car la proposition autrichienne était conçue en termes