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Et dans les longues salles sans fenêtres, où les divans recouverts de tapis s’alignent sous les haïtis bariolés, les femmes du vizir, épouses ou concubines, font tourner, dans leurs petites mains inhabiles, les grandes clés des coffrets rouges cloutés de cuivre. Elles tirent les mouchoirs de soie, les caftans jaspés de fleurs d’or, les énormes ceintures de brocart qui se tournent six fois autour des hanches et les emprisonnent comme une gaine. C’est jour de fête ; les femmes s’étirent de la longue paresse et, pour se parer, se raniment : elles rient, en tirant des grands coffrets les colliers à boules d’or, les anneaux barbares d’or serti d’émail, qui pendent avec un fil aux oreilles ; les écheveaux de perles s’enroulent tout embrouillés autour des cous et des épaules et retombent en cascades sur les seins. Pour les bras et les chevilles, il y a des bracelets d’or souple où pendent de grandes émeraudes toutes striées de fêlures ; le rayon de lumière s’y brise comme dans des yeux blessés qui ne voient plus. Les jeunes femmes reçoivent les avis de leurs aînées, les vieilles épouses assagies devenues maternelles et qui vont, les reins épais, les hanches roulantes, les seins ballans, apostrophant de leurs gronderies verbeuses les petites créatures minces tour à tour triomphantes et timides, les petites mariées d’hier ou de l’an passé. Le kohl s’allonge sous les yeux noirs un peu stupéfiés, le carmin arrondit la bouche en un trou saignant, et des dessins bleus font sur les joues comme des lignes symétriques de blessures volontaires. Est-ce un mystère de volupté qui donne à ces femmes prêtes pour l’amour une apparence de suppliciées ? Mais, avec leurs grands yeux attristés de kohl et leurs visages blessés, elles rient et jacassent : c’est le ramage d’une volière où il y a des roucoulemens et des cris que suivent des coups de bec et d’ongles.

Et puis, quand elles sont toutes parées avec les beaux caftans, les ceintures rutilantes, les mouchoirs de soie bien collés sur la tête, les franges qui pendent comme des plumages, les émeraudes, les écheveaux de perles aux reflets dorés, quand tout luit et chatoie sur elles comme les frissons nacrés sur des corps de sirènes, le grand et rugueux haïk blanc, le masque de soie noire percé de deux trous viennent subitement, comme un sortilège triste, tout éteindre. Elles sont comme changées en pierre. Tout le ramage cesse. Quand les épouses sont hissées à califourchon sur les larges mules, ce n’est plus qu’une file de