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résolution cela le conduira-t-il ? C’est ce que je ne suis point parvenu à connaître. Mais qu’il se prépare quelque chose, c’est ce que je puis vous affirmer. Lord Derby m’a dit qu’il était inquiet. Le chancelier a toujours eu cette idée que vous ferez une guerre de revanche et il veut la prévenir. Il a eu récemment la pensée de vous forcer à prendre la moitié de la Belgique et d’octroyer l’autre à la Hollande. Dans ce cas, il donnerait carte blanche à la Russie, en Orient, aux dépens de l’Autriche et il voudrait vous obliger, bien entendu, à entrer dans une ligue contre la Papauté. » Il y avait quelque vérité dans ces assertions, provenant de Geffcken, mais les desseins de Bismarck sur des modifications possibles en Europe étaient tellement mystérieux et changeans qu’on ne peut y ajouter une sincère créance. Vers cette même époque, les Munchener Nachrichten traitaient la Belgique de « nid de Jésuites, » et accusait ce pays et la France de s’être ligués avec le Vatican pour faire rouler la petite pierre qui devait ébranler l’Europe. Le journal bavarois exprimait l’espoir que la Russie et l’Autriche dégoûteraient le coq gaulois de son envie de chanter et il appuyait sur la pensée conçue par Bismarck de grouper les trois Empires dans une triple alliance contre la France et le Saint-Siège. Mais les espérances fondées sur la Russie surtout devaient s’évanouir rapidement, et la politique aventureuse du chancelier allemand allait subir un rude échec.

Tout confirme les intentions brutales de Bismarck, malgré ses dénégations répétées, lorsque le coup, préparé par lui, fut manqué. Dans une conversation qui eut lieu entre Gortchakof et Morier pendant le mois de juin, Gortchakof faisait semblant de rejeter la responsabilité de l’Alerte sur le maréchal de Moltke et sur son état-major. Morier fit alors allusion à la célèbre phrase de Radowitz : « Pour des raisons philanthropiques, morales et chrétiennes, c’est le devoir de l’Allemagne d’attaquer la France. » En entendant cela, Gortchakof parut s’émouvoir et, après un long silence, fit cette grave déclaration : « Puisque vous en savez tant, je vais vous raconter un fait qui vous intéressera. » Et il apprit à Morier que la phrase citée par lui avait été envoyée à Radowitz à Saint-Pétersbourg de Berlin même, dans un rapport confidentiel. Gortchakof en avait eu connaissance, l’avait copiée lui-même et montrée au tsar. Quelque temps après, se trouvant à Berlin, il parlait de l’Alerte avec le