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suivant lui, à ce que l’Alsace avait été incorporée à la France « au moment où celle-ci touchait au zénith de sa gloire. »

Morier voulut savoir du docteur J… si l’assimilation n’exigerait pas la durée de plusieurs générations. Le docteur répondit que cela irait beaucoup plus vite à cause de l’identité de langage et du caractère de la race, mais que d’eux-mêmes les Alsaciens ne s’y prêteraient guère. Cependant, il croyait que les sentimens de chaude bienvenue, — on venait de bombarder Strasbourg ! — qui se manifestaient partout en Allemagne à l’égard des infortunés habitans de l’Alsace, ne pourraient rester sans effet. « Les Allemands, disait-il, entrent en Alsace, non avec l’orgueil des vainqueurs, mais avec les sentimens provoqués par le souvenir de leur ancienne amitié, et, quels que soient les sentimens hostiles manifestés actuellement par le parti anti-annexionniste, quand l’annexion sera un fait accompli, ces sentimens se modifieront et deviendront ceux de la satisfaction pour un régime qui accordera aux Alsaciens la liberté religieuse aussi bien en pratique qu’en théorie. » On sait quelles libertés leur ont été données et où en est, après quarante et un ans d’annexion, l’assimilation rêvée !

Le grand-duc de Bade, auquel s’adressa ensuite Morier, croyait qu’il n’y avait pas de parti annexionniste en Alsace et que les sentimens de la population étaient aussi français que possible. En ce qui le concernait, il avait toujours désapprouvé l’idée de l’annexion. Il paraîtrait que le Kronprinz était du même avis, mais que le gouvernement, l’eût-il partagé, eût rencontré mille difficultés insurmontables. « Si des considérations géographiques ne l’eussent exigé, disait Bismarck, — ce propos a été rapporté par Maurice Jôkai, — nous n’aurions jamais annexé à l’Allemagne un empan de terre habité par des Français. Ce sont des ennemis irréconciliables et sauvages ! » A Metz et aux environs, Morier n’osa même pas consulter les Lorrains à ce sujet, de crainte que ses questions ne fussent considérées comme des injures. A la suite de son enquête, il pensait que la paix pourrait se conclure facilement si la France cédait Strasbourg et l’Alsace à l’Allemagne qui renoncerait à la Lorraine. Morier ne connaissait pas encore les Français.

Revenant sur cette question si délicate, au lendemain de la guerre, Morier croyait qu’il aurait mieux valu établir une union intime entre l’Alsace et la Lorraine, et en faire un