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faudra pourtant bien qu’il s’explique. On le ménage volontiers au Palais-Bourbon et au Luxembourg, parce que, dans l’incertitude du lendemain, personne ne croit avoir intérêt à le renverser. Mais la fonction d’un gouvernement est de gouverner, et lorsque l’exercice de cette fonction se trouve arrêté ou suspendu d’une manière trop sensible, les meilleures volontés finissent par se lasser. Les journaux illustrés publient des images où l’on voit le lit de M. Monis entouré de tous les ministres ; cela est touchant sans nul doute, mais ne saurait inspirer un autre sentiment que de la sympathie pour un blessé, ce qui ne suffit pas à la marche d’un gouvernement. Une autre illustration serait plus significative encore : elle représenterait M. le garde des Sceaux attendant seul au pied du lit de M. Monis la rédaction de la lettre qu’il est venu chercher, pendant que la Chambre amuse le tapis comme elle peut. Aussi bien cette scène n’a pas besoin d’être reproduite par le dessin ; elle est dans tous les esprits et elle suffit à définir et à juger la situation.


Une autre discussion non moins intéressante, non moins importante, a eu lieu au Sénat ; elle a été depuis reprise à la Chambre où elle se poursuit en ce moment sans faire jaillir des lumières nouvelles ; elle se rapporte à l’application de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. Cette loi, qui a été votée l’année dernière, doit entrer en vigueur au commencement de juillet. Des dispositions très laborieuses ont été prises pour cela. Le Conseil d’État a rédigé un décret d’administration publique destiné à rendre la loi plus pratique. Le ministre du Travail, de son côté, s’est donné une peine infinie pour préparer les détails matériels de son application. S’il s’agissait seulement de rendre justice à un effort immense, entrepris et poursuivi avec une grande ténacité, nous serions les premiers à reconnaître ce qu’il a eu de méritoire. Mais il n’a produit jusqu’à ce jour que des résultats très incomplets.

Les intentions d’où la loi est sortie sont excellentes. Ses auteurs ont voulu faire une œuvre de solidarité sociale à laquelle tous devaient participer, et nous aurions voulu qu’ils y réussissent. Par malheur, ils ont mis l’obligation à la base de leur loi, et cela a suffi pour faire naître un peu partout, dans le pays, une suspicion si générale qu’ils auront beaucoup de peine à la dissiper. Ils se sont défiés de la liberté, parce qu’elle aurait été plus lente dans ses effets, et qu’ils voulaient faire vite ; mais en imposant une injonction impérieuse, ils ont provoqué dans la majorité de la classe ouvrière un mouvement de