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Remarquez qu’Iphigénie croit que le sacrifice de sa vie importe au salut de la patrie et c’est à cela qu’elle s’immole ; mais elle ne semble pas croire qu’Artémis demande sa mort. Elle dit : « S’il est vrai qu’Artémis demande" ma mort… » Les formes dubitatives qu’elle emploie à plusieurs reprises semblent trahir chez le poète une demi-intention de laisser Artémis en dehors du débat. En tout cas, Iphigénie ne dit point : « Puisque Artémis demande ma mort » ou : « Artémis demande ma mort ; il n’y a qu’à obéir. »

De plus, ici, Euripide a trouvé un bouc émissaire qui décharge d’autant les Dieux. Aucun Grec ou aucune Grecque ne peut dire légitimement ni raisonnablement dans Iphigénie à Aulis :


Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit !


et, de la façon dont Euripide a conduit sa pièce, tous les Grecs doivent dire :


Implacable Calchas, toi seul as tout conduit !


Ailleurs il ne laisse pas de se servir de cette explication si connue, même dans l’antiquité, beaucoup plus connue depuis, qui consiste à dire que si, très souvent, l’innocent est puni, c’est-à-dire malheureux, c’est qu’il expie pour d’autres, pour ses ancêtres, pour l’un de ses ancêtres, souvent éloigné. C’est l’élernelle théorie de la réversibilité des expiations. « De celui qui aura mangé des fruits verts les petits-enfans auront les dents agacées. » — « Nous expions pour nous-même ou pour d’autres. » (Victor Hugo.)

Cette théorie, dont je crois avoir ailleurs expliqué la genèse en disant que puisque l’hérédité physiologique est incontestable et qu’un petit-fils est malade par suite de l’imprudence de son grand-père, il n’a pas paru plus étonnant que l’hérédité morale existât et que les fils fussent punis pour la faute de leurs pères, étant donné, surtout, que la maladie elle-même était considérée comme une punition céleste ; cette théorie, que je n’exposerai pas plus longuement aujourd’hui et surtout que je ne discuterai pas, Euripide l’a acceptée ; il a bien été forcé de l’accepter puisque presque tous les sujets qu’il traitait en étaient pleins, et c’est ici que reviendrait ce que j’ai dit de