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Cependant, d’une part, il est très difficile de ne pas considérer les Dieux comme « faisant bloc, » pour ainsi parler, comme étant une âme composée de plusieurs âmes, tout au moins comme avant à l’égard des hommes le même esprit général et quand le païen dit, non pas : « un Dieu l’a voulu, » ce que je reconnais qu’il dit souvent ; mais « les Dieux l’ont voulu, » ce qu’il faut reconnaître qu’il dit souvent aussi, il considère l’ensemble des Dieux comme étant « la Divinité, » un pouvoir supérieur qui, généralement et sommairement, est d’accord avec lui-même et n’a qu’une volonté générale.

Et la difficulté reparaît.

Et, d’autre part, le monothéisme, ou au moins une espèce de monothéisme est si naturel chez les hommes, comme Voltaire, trop strictement, trop étroitement, mais point sottement, l’a répété un millier de fois, que le païen ne pouvait pas s’abstenir de faire remonter au Dieu président, au Dieu archonte, la responsabilité du mal sur la terre et se représentait Zeus lui-même comme ayant à sa droite le tonneau des biens, à sa gauche le tonneau des maux et comme puisant tour à tour dans l’un et dans l’autre.

Et la difficulté reparaît plus forte encore, et tout compte fait elle est à peu près aussi forte pour un païen que pour un monothéiste.

Et qu’en a donc pensé Euripide, qui, du reste, était évidemment plus monothéiste que païen ?

Il en a pensé que l’existence du mal sur la terre accusait les Dieux et qu’il était assez difficile de les justifier. Il a envisagé, au hasard de ses travaux dramatiques : 1o le mal que les Dieux font ; 2o le mal qu’ils permettent sans le punir ; 3o le mal qu’ils excusent par leur conduite, et que par conséquent ils encouragent.

Les Dieux font le mal : par exemple, ils ordonnent à un fils de tuer sa mère par application de la loi du talion. C’est une chose abominable. Euripide précisément, et sans doute pour l’incriminer, la représentera comme une chose abominable. Il ne fait pas Clytemnestre très odieuse, pour que le crime sacré d’Oreste soit plus odieux et pour qu’une protestation s’élève contre le Dieu qui a formellement ordonné ce crime et qui en est responsable. L’intention en est évidente, ou, au moins, elle est infiniment probable. Il faut examiner l’Électre d’Euripide ligne par ligne à ce point de vue.