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le plus grand gré, la légende la plus profonde relativement à Hélène, cette légende selon laquelle Paris aurait enlevé, non point Hélène, mais un fantôme, et selon laquelle, pour ce fantôme, Grecs et Troyens auraient combattu et se seraient entretués pendant dix ans. Ceci, « par exemple, » est merveilleux. Hélène est un rêve, et c’est pour cela qu’elle est si belle ; Hélène est un rêve, et c’est pour cela que le temps n’a pas de prise sur elle ; Hélène est un rêve, et c’est pour cela que tous les hommes et Ulysse lui-même (ce qui, du reste, m’étonne) lui sacrifient leur vie et sont éternellement à son service.

Celui qui a trouvé cela, il l’avait, le sens mythologique et le sens philosophique et le sens de la profonde philosophie que contient la mythologie ! Hélène est un fantôme. Cent mille Grecs la poursuivent dix ans à travers mille dangers et d’innombrables souffrances et son mari de retour dans sa maison (ce n’est pas tout à fait cela ; mais il n’importe) la retrouve tranquillement assise à ce foyer qu’il n’aurait pas dû quitter. Rêve de gloire, rêve de fortune, rêve de bonheur, tous les rêves sont ainsi et à les poursuivre on commet pareille erreur burlesque. Ô vie de tous les hommes, ou à peu près, tu t’appelles Hélène !

Oui, donc, Euripide a bien fait de nous conserver ce mythe beau comme un mythe de Platon que raconterait Socrate. Oserai-je dire qu’il l’a gâté ? Oserai-je dire au moins que, sous sa main, il est devenu un peu mesquin, un peu inférieur et je ne voudrais pas dire un peu vulgaire, mais un peu bourgeois ?

Autant en pourrai-je hasarder de tous les mythes et de toutes les légendes dont s’est emparé Euripide, sauf exception, que pour le moment je ne vois guère. Cette admirable (car elle l’est) tragédie d’Alceste, elle-même, est déparée par le plus incroyable mélange, non pas de comique et de tragique, mais de tragique et de bouffon (je dis en dehors même du rôle d’Héraclès) que l’on puisse rêver. Le rôle d’Admète et celui du vieillard son père en sont tout tachés, comme à plaisir.

Non, entre la mythologie et Euripide il y avait antipathie et entre son esprit et les nécessités de son métier, lequel était de travailler sur les légendes mythologiques, il y avait bien contradiction intime.

Il s’en est tiré, tout au moins au point de vue de l’immoralité qu’il voyait dans les Dieux, par son invention (car, en vérité, c’est bien une invention qui est de lui), par son invention de la