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Admettons, ce qui est à peu près vrai, qu’Héraclès ait été pour les poètes grecs le représentant de la justice sur la terre.


Hercule promenant l’éternelle justice
Sous son manteau sanglant taillé dans un lion.


Soit. Qu’en fera Euripide, dans Alceste ? D’une part, quelque chose de moins, d’autre part quelque chose, sinon de plus, sinon de tout autre et de plus touchant. Il en fait d’abord une espèce de soudard goinfre, ivrogne et éclatant quand il est à demi ivre, en propos gaillards et en chants bachiques ou plutôt herculéens. Puis, quand Héraclès apprend que son hôte a perdu sa femme et que lui, Héraclès, a profané par sa conduite une maison en deuil, il a honte, comme un grand enfant ; et, non pas du tout par inspiration de justice, mais pour réparer sa faute, en brave garçon qu’il est, il jure à Admète qu’il arrachera Alceste au Dieu de la mort et qu’il la rendra à son époux.

Voyez-vous, dans la première partie, l’aversion d’Euripide pour la mythologie qui divinise la Force, son aversion aussi, bien connue, pour les athlètes ; dans la seconde partie, sa sensibilité, son plaisir à peindre des hommes un peu « peuple, » mais doués de bons sentimens généreux et cordiaux ; et nulle part, ce me semble, le sens de la grande mythologie, ce sens de ce que la mythologie contenait de grand et de profond, ni non plus le goût de le rechercher, ni non plus le désir de le mettre en lumière et en lumière pure et radieuse, tous sentimens qu’un Sophocle avait si bien.

Voyez encore comment Euripide traite d’Hélène. Le plus souvent Hélène est pour lui « l’éternel féminin » dans tout ce qu’il a de redoutable, de perfide et de détestable. Et puis ailleurs il la peint sous tous les dehors et dans tout l’état et je dis même l’état d’âme d’une matrone romaine ; mais jamais, ce me semble, il n’a touché le point, le point mythologique, si je puis dire : Hélène considérée comme une force de la nature aveugle et fatale contre laquelle on n’a rien à dire, en faveur de laquelle on ne saurait dire rien, tant elle est irresponsable, et c’est certainement cette manière de prendre les choses qui est épique au plus haut point et qui, si un homme de théâtre comme Euripide s’y appliquait selon son art, deviendrait éminemment dramatique.

À la vérité, il nous a conservé, dont nous lui devons savoir