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L’Exposition universelle de 1855 fut, enfin, pour Huet, l’occasion d’un vrai et juste triomphe. Quatre chefs-d’œuvre, l’Inondation à Saint-Cloud, le Soleil couchant à Seine-Port, les Environs d’Antibes, la Fraîcheur du bois, montrèrent, avec éclat, son talent sous ses formes diverses. Ces toiles, placées auprès de celles de Delacroix, n’eurent pas à souffrir de ce voisinage redoutable. Son vieux compagnon lui témoigna, à plusieurs reprises, son admiration et, grâce à ses efforts, après le vote des grandes médailles par le Jury officiel, où Corot et Huet avaient été oubliés, l’Empereur ajouta à la liste deux récompenses supplémentaires pour les deux maîtres sacrifiés.

Tous les amis applaudirent, et l’artiste, en vérité, avait grand besoin de ce réconfort. Par intermittences, il semblait faiblir. Dans son entourage, on s’inquiétait. Delacroix, cette année même, sortant de son atelier, griffonna, sur son carnet : « Ce pauvre Huet n’a plus le moindre talent, c’est de la peinture de vieillard ; il n’y a plus l’ombre de couleur. » Il est vrai qu’il ajoute : « J’avais oublié mes lunettes et suis revenu, tout courant et fatigué pour les reprendre au septième étage de Durieu. » On a cru voir, bien à tort, dans l’une de ces boutades nerveuses, dont il est coutumier, une preuve de duplicité chez Delacroix. Or, c’était l’heure même où il prenait tant de peine pour mettre en lumière la valeur de son ami. D’ailleurs ses impressions, mobiles autant que vives, n’avaient pas tardé à se modifier devant d’autres travaux plus heureux, puisqu’il écrit, dans ce même journal, en 1858 : « J’ai été chez Huet ; ses tableaux m’ont fort impressionné. Il y a une vigueur rare ; encore des instans vagues, mais c’est dans son talent. On ne peut rien admirer sans regretter quelque chose à côté. En somme, grand progrès… J’y ai pensé avec beaucoup de plaisir toute la soirée. »

Cette note vise probablement les huit grands panneaux décoratifs pour le salon de M. Lenormant, à Vire, qui furent exposés l’année suivante, ou les ébauches des superbes toiles, la Marée d’Èquinoxe et les Falaises de Houlgate dans lesquelles Delacroix put retrouver la puissance d’émotions qu’il avait crue perdue chez son ami, avec quelques similitudes, dans les harmonies colorées, avec sa propre manière. Différens exemplaires, avec d’intéressantes variantes, de ces œuvres capitales, se succédèrent aux Salons de 1861, 1864, 4865, 1866, accompagnées d’autres toiles, qu’on retrouve à l’Ecole des