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amateurs par leur simplicité et leur sincérité. « Un soir, chez Susse, Delacroix dit à Poterlet, Comairas, Jadin : Je viens de voir un paysage bien étrange, j’aimerais savoir quia fait cela ; c’est signé Huet, c’est très bien. — Mais c’est ce petit qui travaille cette semaine à côté de toi-Or, Delacroix en ce moment, venait d’exposer la Barque du Dante. Les jeunes gens se lièrent pour la vie. Pendant un mois, Delacroix grimpa presque chaque jour jusqu’à la chambrette de la rue Madame, 27, où le paysagiste peignait son premier tableau, le Cavalier.

Ces deux essais du débutant sont aujourd’hui sous nos yeux. La Lisière de bois qui enchanta Delacroix et décida du sort de Huet est une étude vive et colorée, incertaine encore et tâtonnante. En haut, une rangée de grands arbres, fermes et feuillus, profilés en masses lourdes sur un fond de ciel crépusculaire, d’un bleu léger, sous une montée de nuages rougissans. En bas, une large pente gazonnée, noyée dans l’ombre. L’aspect général est grave et recueilli, d’un vert sombre, que ravive, en bas, par sa tache rouge, un corsage de paysanne. C’est la note complémentaire qui deviendra bientôt la coiffure de tant de bateliers, pêcheurs, laboureurs, chez Corot, Rousseau, etc. La vérité dans les structures et la coloration des végétaux et des terrains, l’émotion intime avec laquelle l’artiste en fait sentir la grandeur et le calme, s’y affirment déjà avec cette force d’unité qui sera toujours la caractéristique du peintre. Rien, en effet, dans les petits paysages du temps, ne ressemble à cela. C’est bien la rupture décidée avec les généralisations et les sécheresses du paysage historique. Nulle affectation, pourtant, de procédé nouveau. Quelques réminiscences, seulement, non dissimulées, d’admiration pour les vieux conseillers de Hollande et pour le « cher Watteau, » d’où cette parenté déjà visible avec quelques Anglais contemporains, s’inspirant aux mêmes sources.

Nous l’avons déjà dit, s’il y a, en effet, alors, des deux côtés de la Manche, une façon, de plus en plus fraternelle, de comprendre et de traiter le paysage, cet accord est aussi bien dû, et tout d’abord, à la reprise commune des mêmes traditions d’art, plutôt qu’à l’importation, assez tardive chez nous, des tableaux anglais. Il est probable, à la vérité, que même avant l’exposition suggestive des chefs-d’œuvre de Constable au Salon de 1824, on put voir, à Paris, chez des amateurs et des marchands, d’autres morceaux de lui ou de ses compatriotes.