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surprenante justesse. Nos miniaturistes, si habiles de bonne heure à saisir la mimique des acteurs humains, et à leur faire jouer, en des cadres minuscules, des scènes graves ou plaisantes, d’une vivacité particulière, s’en tiennent encore à des détails, branchages, fleurettes, feuillages, oiseaux, insectes dont ils sèment leurs marges. Pour qu’ils s’intéressent, de plus près, aux végétaux et aux animaux, pour qu’ils les associent à la campagne environnante, il faut qu’un grand souffle d’art pur nous arrive des Flandres par les frères de Limbourg, et les Van Eyck.

Le succès, d’ailleurs, est admirable. Jehan Fouquet, le tourangeau, libre et avisé disciple à la fois des Van Eyck, de Pisanello et de Fra Angelico, s’assimile, avec une aisance charmante, leurs qualités diverses et fait mouvoir ses figurines en des paysages et des architectures d’une telle vérité, pour les formes et pour les lumières, qu’on n’a guère fait mieux, depuis, en aucune école. Et il n’est pas le seul ! Autour de lui, quelques-uns de ses émules anonymes ont fait aussi bien. Mais, après eux, il semble que les yeux, brouillés par les décadens d’Italie, se ferment ou se troublent durant un long siècle. C’est seulement en Claude Lorrain et Poussin que les arbres et le soleil trouveront des admirateurs passionnés, voulant et sachant en exprimer la grandiose et noble poésie. Aussi exaltés tous deux par les souvenirs de la beauté antique, que par leurs impressions directes devant la réalité vivante, ces nobles artistes s’autorisent, avec liberté, décision et variété, des exemples déjà donnés par les Vénitiens, les deux Bellini, Carpaccio, Basaïti, Giorgione, Titien, puis développés à Bologne par Annibal Carrache et le Dominiquin. Ils accordent enfin, dans leurs scènes historiques, une place si importante, si prépondérante au paysage que les acteurs, de plus en plus rares et amoindris, finissent par y disparaître presque entièrement dans les masses touffues des végétations majestueuses ou dans l’éblouissement diffus des splendides crépuscules. Ni le Lorrain, ni le Normand, ne perdent rien, dans l’agro romano, de leur sincérité française et de leur sensibilité atavique devant la nature (comme le prouvent leurs incomparables dessins), mais, précisément, parce qu’ils sont émus et sincères, ils traduisent très loyalement ce qu’ils ont sous les yeux. Leur franchise septentrionale ne leur sert qu’à mieux voir et à mieux comprendre la beauté