Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/829

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire si efficacement sentir sur les débuts, du mouvement d’Oxford ; il les observe disant leur bréviaire ; il travaille à orner des chapelles dans de vieilles masures pour de douloureux anniversaires, et il s’avoue « tout ému d’une oraison funèbre prononcée par un curé émigré[1] ; » il aime à s’égarer enfin et à rêver sous les voûtes de Westminster : stations d’artiste, certes, et d’artiste épris de l’art gothique, mais aussi d’homme en quête d’émotions religieuses[2].

C’est qu’aussi bien il est alors dans un très curieux état d’exaltation sentimentale dont témoignent assez son aventure avec Charlotte Ives, mainte page de l’Essai, et toutes ses lettres de cette époque[3]. L’exil, la misère, la solitude matérielle et morale, les angoisses publiques et privées, la pensée d’une fin prochaine ont tendu tous les ressorts de son être intime. Une sensibilité toute prête à déborder, qui se contient à peine et qui, au moindre choc, va s’épandre, voilà ce qu’on sent vibrer dans tout ce qu’il écrit alors. Il y a des larmes prêtes à couler dans ce style. C’est exactement l’état si finement décrit par le poète :


On a dans l’âme une tendresse
Où tremblent toutes les douleurs…


Les rêves poétiques dont il se repaît ne lui suffisent point. Nous l’avons vu, dans l’Essai sur les Révolutions, tourmenté et

  1. Mémoires, éd. Biré, t. I, p. 320-321, 324. — Il a vu, entre autres, à Londres (Mémoires, t. II. p. 160), le célèbre abbé Carron, l’un des directeurs de Lamennais. — Voyez F. Plasse, le Clergé français réfugié en Angleterre, Paris, Palmé, 1886, 2 vol. in-S : Abbé Sicard, l’Ancien clergé de France, t. III. Paris, Lecoffre, 1903, in-8 ; P. Thureau-Dangin, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I. Paris, Plon.
  2. « Une fois, je m’oubliai dans l’admiration de cette architecture pleine de fougue et de caprice. Dominé par le sentiment de la vastité sombre des églises chrétiennes, j’errais à pas lents. » (Mémoires, t. II, p. 116.) — Il est alors assez préoccupé des questions d’art : voyez sa curieuse Lettre sur l’art du dessin dans les paysages, datée de Londres, 1795 (Œuvres complètes, éd. Ladvocat, t. XXII, p. 3-15).
  3. Voyez, entre autres, le chapitre de l’Essai intitulé : Aux infortunés. Le ton de ses premières lettres à Fontanes est très moulé, très passionné, déclamatoire, si l’on veut, mais touchant d’évidente sincérité : « Adieu, croyez au sincère, au tèes sincère attachement de votre ami des terres de l’exil. » (15 août 1798). — « Quel long silence,… et que de choses d’amitié on aurait à vous dire ! » (19 août 1799). — « Le ciel m’est témoin que les miens (mes yeux) n’ont jamais cessé d’être pleins d’eau toutes les fois que je parle de vous… Il (Dieu) aura désormais avec vous toutes mes pensées. (27 octobre 1799). J’anticipe ici, mais à dessein. — Voyez également la pièce intitulée les Tombeaux champêtres, élégie imitée de Gray, que Chateaubriand publiait le 11 décembre 1797 dans le Paris de Peltier (par M… de S. Malo, auteur de l’Essai sur les Révolutions anciennes et modernes).