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coupe-gorge ou un mauvais lieu, » l’incertitude du lendemain, des menaces perpétuelles de dénonciation ou de mort, voilà par quelles réalités brutales se traduisait pour elle l’abandon de l’ancien idéal. En même temps, le souvenir, poétisé par le malheur, des antiques services sociaux rendus par l’idée chrétienne, la vue presque quotidienne des nobles dévouemens secrets qu’elle inspirait encore, tout préparait dans les âmes la lente révision d’un procès sans doute prématurément jugé. De toutes parts, sous la pression des malheurs publics, chacun redescend au fond de sa conscience, et beaucoup y retrouvent le christianisme qu’ils en avaient cru disparu : de toutes parts des conversions se produisent. On se dit non seulement qu’il faut une religion pour le peuple ; mais beaucoup reprennent à leur compte le mot du moraliste : « Faut-il opter ? Je ne balance pas, je veux être peuple[1]. » A travers les esprits les plus divers lentement se fait jour l’idée du fondement religieux, du fondement chrétien de l’institution sociale[2]. Autour de cette idée centrale, et qu’on approfondit en tous sens, plus qu’on n’avait fait encore, des idées connexes, et jadis inaperçues, viennent se grouper peu à peu. Si la société a besoin du christianisme, si, de toutes les religions connues, le christianisme est socialement la meilleure et la plus parfaite, pourquoi son excellence se bornerait-elle à l’ordre strictement social et moral ? Et puisqu’il n’y a pas de société véritable, de société vraiment humaine sans art et sans littérature, pourquoi le christianisme, même dans ce domaine que, sur la foi du vieux Boileau, on paraissait lui interdire jusqu’alors, ne ferait-il pas sentir son heureuse, sa divine influence ?… Pourquoi ne serait-il pas capable de fournir ce principe de renaissance artistique et littéraire que, dans l’universelle décadence du goût et de l’art, on cherche partout sans parvenir à le trouver ?… Le Génie du Christianisme est dès lors pensé, rêvé, deviné, appelé par tout ce qu’il y a de jeune et de vivant dans l’âme française

  1. Dans un petit livre contemporain du Génie, Du retour à la religion, par Paul Didier, 2e éd. Paris, 1802, in-8, je lis ceci : « Ils blasphèment ceux-là qui disent qu’il faut une religion pour le peuple et qui semblent ne la croire digne que de lui, ou lui seul digne d’elle… Le peuple, c’est tous les citoyens. » (p. 66-67).
  2. M. F. Baldensperger a très bien montré que cette idée se montre fréquemment dans les ouvrages de l’émigration française à Londres (Chateaubriand et l’émigration française de Londres, Revue d’histoire littéraire de la France, décembre 1907, p. 603-605).