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devise au jeune siècle qui se lève. « Cette même religion, écrit-il encore, à qui nous devons tant et de si grands bienfaits, est encore le principe fécondateur de tous nos succès dans la littérature et les arts[1]. » Et tout le livre n’est que l’illustration de cette idée, dont l’auteur a très nettement senti toute la « nouveauté. » Né à Lyon, élevé dans une famille croyante, il ne semble pas que jamais Ballanche se soit détaché des croyances héréditaires. Mais il a, jeune encore, connu la maladie et de terribles souffrances physiques ; il a vu dans sa ville natale, où la Révolution fut épouvantable, le sang couler à larges flots : il s’est replié sur lui-même ; il a, plus qu’on ne le fait d’ordinaire, à son âge, approfondi son christianisme, et il y a trouvé non seulement le principe d’une « palingénésie sociale, » mais encore une « Poétique universelle. »


Rassemblons maintenant tous ces traits épars. À cette date, entre 1797 et 1800, l’âme française achève sa douloureuse et sanglante expérience. Pendant près d’un siècle, elle a joué avec les idées pures ; elle s’est enivrée d’abstractions ; elle a tourné en dérision, elle a tenté de ruiner et d’abolir ce qu’elle appelait un « préjugé, » et ce qui, à son insu, la faisait vivre. Puis, l’heure de la tourmente venue, elle a vu se réaliser dans les faits son lointain idéal : brusquement, sans transition, elle a vu comme face à face cet « homme de la nature » dont on lui avait dit tant de merveilles. Subitement, les visions les plus sanglantes, les spectacles les plus horribles se sont trouvés associés pour elle aux idées et aux paroles dont elle s’était le plus naïvement enchantée. « Fraternité ou la mort. » Le lien social dissous, « la société, selon l’expression de Taine, devenant un

  1. Du sentiment, p. 182, 183. Voyez tout le chapitre intitulé : De la religion catholique (De ses monumens, de sa morale, de son influence sur la littérature et les arts). — Cf. encore, p. 179 : « Poètes, car c’est aussi à vous que je parle, sans doute ces merveilles inéligibles sont bien au-dessus de votre génie ; mais ne croyez cependant pas que vous ne puissiez vous parer des ressources de la mythologie ; ah ! loin de vous ce blasphème que Boileau a le premier osé proférer ! » Dans son Introduction, il énumère les plus récens des « apologistes ou des historiens du sentiment, » A. Smith, Bernardin, Rivarol et… Kant, et il se donne pour leur continuateur. Le livre Du sentiment, publié en 1801, n’a pas été réimprimé dans les Œuvres complètes de Ballanche. « C’est un Génie du Christianisme enfantin, dit un peu durement M. Faguet, mais qui a paru avant le Génie du Christianisme. » Voyez, p. 166 un curieux passage où Ballanche semble appeler de ses vœux, pour exprimer ses propres idées, un plus puissant écrivain que lui.