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laissé ses traces dans Atala, dans les Natchez et jusque dans les Martyrs[1].

En 1795 ou 1796, il revient à Londres, et, toujours poursuivi par l’image de Charlotte, plus passionné de gloire littéraire que jamais, il reprend avec ardeur ses travaux ; et, malgré un retour offensif de la maladie, il publie, dans les premiers mois de 1797, son Essai sur les Révolutions. Le livre fit peu de bruit en France ; il en lit davantage en Angleterre[2], surtout, ce semble, dans le monde de « la haute émigration. » Le jeune auteur y fut reçu, et y ébaucha des connaissances nouvelles : Christian de Lamoignon, qui devint son intime ami, Montlosier, le chevalier de Panât, l’abbé Delille : cette société élégante, raffinée, de mœurs parfois assez libres, paraît avoir deviné son mérite et encouragé ses débuts ; peut-être même ne fut-elle pas sans quelque action sur l’orientation prochaine de sa pensée. Enfin, il revit Fontanes, qu’il n’avait guère fait qu’entrevoir à Paris, en 1789, et qui, proscrit au 18 fructidor, venait d’arriver à Londres. Les deux poètes se lièrent étroitement ; l’un travaillait à sa Grèce sauvée, l’autre à ses Natchez : par l’imagination et par le cœur, sinon par l’esprit, ils étaient faits pour se comprendre ; et quand, en juillet 1798, Fontanes fut rappelé en France, ils avaient contracté l’un pour l’autre une amitié qui ne devait cesser qu’avec la vie.

En ce moment même, la mère de Chateaubriand se mourait à Saint-Servan. Une nouvelle période va maintenant s’ouvrir dans l’histoire de sa vie et de sa pensée.


VI

Pour nous faire connaître son état d’esprit d’alors, nous

  1. Voyez sur tout ceci le livre si curieux de M. Anatole Le Braz, Au pays d’exil de Chateaubriand, Champion, Paris, 1909, son article intitulé le Premier amour de Chateaubriand dans l’Opinion du 25 juin 1910, et l’article de M. Ernest Dick sur le Séjour de Chateaubriand en Suffolk, dans la Revue d’histoire littéraire de la France de janvier-mars 1908.
  2. Je ne connais sur l’ouvrage qu’un seul article français, très élogieux d’ailleurs, mais anonyme, dans le Républicain français du 8 messidor an V (26 juin 1797). Deux Revues anglaises au moins en ont parlé, la Critical Review, sans aucune espèce de sympathie (janvier-mai 1797, t. XIX, p. 494-497), et la Monthly Review, au contraire, avec de grands éloges (t. XXII, p. 540-547, art. XIV). Ajoutons enfin qu’un ministre anglican, le Révérend Mr Symons, aurait prêché, sans le nommer du reste, contre Chateaubriand, dans un sermon qui a été imprime sous ce titre The Ends and Advantages of an Establish’d Ministry.