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Le tableau est édifiant pour le comte d’Æhrenthal, n’est-ce pas ? Nous dirons plus : l’année dernière, un concours fut ouvert en Roumanie, parmi les instituteurs, pour répandre dans les villages certaines connaissances générales ; dans le questionnaire officiel figuraient deux points : le peuple sait-il quelque chose des Roumains asservis ? quel est le pays étranger qu’il déteste ? Le si correct gouvernement roumain s’est bien gardé de communiquer les réponses à l’Autriche-Hongrie. Toujours le si correct gouvernement roumain a édité une carte murale scolaire d’après laquelle la vraie Roumanie s’étend jusqu’au fleuve Tisza, à 80 kilomètres à l’Est de Budapest, retranchant ainsi 180 000 kilomètres carrés de la Hongrie au profit de la Roumanie future ; cette carte est dans toutes les écoles du royaume ; aucune école ne doit en avoir d’autre, il y a des règlemens ; or, le gouvernement hongrois put se procurer, il y a quelques années, un exemplaire de cette carte qu’il communiqua au Ballplatz, lequel, en l’appelant fantaisiste devant la Délégation, la transmit à Bucarest avec protestations. Spiru Haret, ministre roumain de l’Instruction publique d’alors, nomma une commission en vue d’élaborer une nouvelle carte. Depuis, les gouvernemens hongrois et roumain ont changé et la vieille carte est restée dans toutes les écoles roumaines. Il serait temps que le comte d’Æhrenthal intervînt auprès du si correct gouvernement roumain.


Entre la presse des deux pays, de telles polémiques sont fréquentes et d’ailleurs vaines, car il se peut que le gouvernement roumain soit parfaitement correct et que cependant la propagande roumaine existe ; la politique des Cabinets et celle des peuples ne suivent pas les mêmes inspirations ni les mêmes méthodes ; il est hors du pouvoir des gouvernemens d’empêcher absolument deux groupes d’hommes voisins, qui sont ou qui se croient frères, de fraterniser par-dessus les frontières et de se tendre la main.

Le groupe des Roumains de Transylvanie et de Hongrie se prolonge vers le Nord par les populations roumaines de Bukovine qui dépendent de l’Autriche. Les Roumains y sont 230 000 qui travaillent à maintenir les droits de leur nationalité en face des Ruthènes qui sont 300 000 ; ils associent leur résistance à celle des Allemands qui ont dans le pays des colonies prospères et qui sont les maîtres de l’Université de Czernowitz. Les cinq députés roumains que la Bukovine envoie au Reichsrat de Vienne, ne voulant s’associer ni aux Slaves ni aux Allemands, se sont rapprochés des Italiens. Roumains et Italiens habitent aux deux extrémités de la monarchie, mais, au Parlement, leurs affinités latines et le commun besoin de résister à la pression allemande et à la marée montante du slavisme les ont