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langue roumaine pour en constituer une nationalité à part. En réalité, ces Koutzo-Valaques, dont, au XIVe siècle, le voyageur Juif Benjamin de Tudèle signalait déjà l’existence dans le Pinde, sont les descendans des paysans macédoniens romanisés, refoulés dans les montagnes par les invasions slaves, de même que les Roumains sont les descendans des colons de la Dacie réfugiés dans les Carpathes. La propagande roumaine, appuyée d’argumens sonnans et trébuchans, encouragée au début par l’Autriche, favorisée par les autorités ottomanes qui se servaient volontiers du « roumanisme » pour battre en brèche l’ « hellénisme, » obtint de faciles succès. En 1905, le très distingué ministre de Roumanie à Constantinople, M. Alexandre Em. Lahovary, aujourd’hui ministre à Paris, obtint du sultan Abd-ul-Hamid la reconnaissance officielle de la personnalité nationale des Valaques de Turquie. Le gouvernement du roi Carol se trouvait dès lors qualifié, au cas où les propagandes nationales eussent abouti à un partage de la Macédoine, pour réclamer sa part ou obtenir des compensations. Si au contraire la Macédoine était devenue, sous le régime européen des « Réformes, » une sorte de province privilégiée presque autonome, la Roumanie aurait eu voix au chapitre dans sa constitution. Vers la même époque, les Roumains s’intéressaient à la reconnaissance de la langue et de la nationalité albanaises[1]. Il semble qu’on ait un moment pensé, à Bucarest, à constituer un grand Etat albanais-valaque, entre l’Adriatique et le Vardar, sous le double patronage de la Roumanie et de l’Italie. C’était aussi le temps où, dans un livre dont nous avons eu plusieurs fois l’occasion de parler ici, un Roumain de marque publiait sous le pseudonyme « Un Latin » un projet de confédération balkanique dont il proposait de donner la présidence à un empereur italien qui aurait été en outre le souverain direct des Albano-Valaques[2]. Sans doute, il s’agit plutôt là d’ambitions vagues que de desseins mûrement préparés ; il n’en est pas moins certain que les Roumains ont esquissé en Macédoine une forme très ingénieuse d’impérialisme ethnique et linguistique. Une rupture diplomatique entre la Roumanie et la Grèce fut la suite de la propagande roumaine parmi les Valaques, mais les rapports avec le

  1. Voyez notre article du 15 décembre 1909 : la Question albanaise, p. 805.
  2. Une Confédération balkanique comme solution de la question d’Orient, par Un Latin. Plon, 1905, in-12.