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qui la font convoiter des Roumains, les Bulgares attachent un grand prix à sa conservation ; mais si les circonstances les plaçaient un jour en face de la nécessité de risquer un coup de partie et d’attaquer les Turcs, l’abandon de Silistrie ne serait pas un prix trop élevé pour la neutralité, peut-être même pour le concours actif de l’année roumaine. Il est des heures décisives où il faut savoir donner peu pour gagner beaucoup. Si les Turcs devaient être un jour chassés d’Europe, ils le seraient par une entente de l’Autriche-Hongrie et de la Bulgarie, la Roumanie ayant reçu ses « apaisemens. »

Ainsi, l’avenir et la sécurité de la Turquie, en Europe, dépendent, pour une forte part, de la Roumanie. La leçon de 1877-1878 est restée présente à l’esprit du roi Carol et des hommes d’État roumains. Ils ont travaillé avec persévérance pour que leur pays ne puisse plus être exposé sans profit aux hasards d’une grande guerre ; si la Roumanie prenait les armes aujourd’hui, ils veulent que ce ne puisse être que pour sa propre querelle. Quand le prince Carol, après le Congrès de Berlin, se rendit à Potsdam en août 1880, Bismarck lui parla des « difficultés énormes » qui résultaient pour la Roumanie de sa situation géographique, et lui conseilla « de ne pas prendre une attitude trop rude à l’égard de la Russie[1]. » Ces conseils de prudence étaient superflus adressés au souverain éminent qui a su faire de la Roumanie un État fort et garantir son avenir par tout un système d’alliances, d’ententes et de contre-assurances. Si la Roumanie tient aujourd’hui en Europe une place enviée, c’est, pour une large part, à la prudence et à l’énergie de son roi qu’elle le doit.

Charles Ier, roi de Roumanie, est un Hohenzollern ; il est le second fils de ce prince Antoine, dont le nom fut si souvent prononcé en France à l’époque tragique où son fils aîné fut candidat au trône d’Espagne. De sa lignée princière, il a l’orgueil du nom et du sang. Un Hohenzollern doit être soldat, s’il n’est pas roi : le prince Charles a été l’un et l’autre. Il avait, de naissance, le don du commandement, le sens de la discipline, le goût des responsabilités ; il n’a recherché, dans l’exercice du pouvoir, ni les jouissances grossières, ni même les plaisirs délicats ; régner, c’est, pour lui, mettre en action et développer les

  1. Jehan de Witte, ouv. cit., p. 432.