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langue et leur individualité et ils s’épanouissent aujourd’hui en une nationalité vigoureuse, pleine de sève, fière de sa jeunesse retrouvée et de son avenir espéré. La nation roumaine affirme sa personnalité et prend conscience de sa valeur à mesure que l’instruction et l’aisance se répandent, et, en même temps, grandit en elle le désir de s’affranchir de toutes les tutelles et de développer toutes ses facultés. Cette aspiration générale caractérise aujourd’hui les progrès de la Roumanie ; politiquement et économiquement, elle cherche à se suffire à elle-même, à s’émanciper en se différenciant. Le Roumain indigène travaille, réussit, s’enrichit ; une classe moyenne se forme qui tend à éliminer l’étranger parasite, à se défendre contre l’envahissement du juif, pour profiter elle-même des richesses de son sol. Autrefois, en Roumanie, le Roumain peinait et l’étranger profilait ; il en sera de moins en moins ainsi, le Roumain veut être maître chez lui. Cette tendance se marque et se marquera de plus en plus dans la politique extérieure du royaume, à mesure qu’il se dégage des hauts patronages qui ont abrité sa jeunesse. Nous ne voulons pas dire par là que la Roumanie cherche à se dégager de toute combinaison d’alliances ou d’ententes, — de plus grandes qu’elle se gardent de le faire, — ni qu’elle puisse jamais prendre, en Europe, un rôle de premier plan : ses forces ne le lui permettraient pas. Mais ses alliances, ses amitiés, son attitude politique dans les crises qui pourraient survenir, ne seront inspirées que par la seule considération de ses intérêts nationaux. Ce sont précisément ces intérêts qui feraient une loi à la Roumanie, dans certaines circonstances, de s’entendre avec l’Empire ottoman. Nous voudrions le démontrer en exposant les conditions dans lesquelles vit et se développe le royaume moldo-valaque.

La Roumanie est un Etat, Danubien. Sur une très grande étendue, des Portes de Fer à Silistrie, le fleuve, qu’aucun pont ne franchit, la sépare des pays Balkaniques, Serbie et Bulgarie. En même temps qu’il lui sert de frontière, le Danube est son artère vivifiante, sa grande voie commerciale. Depuis que le traité de Berlin lui a donné la Dobroudja, elle a pris pied sur la rive droite ; les deux rives du Bas-Danube sont roumaines jusqu’au confluent du Pruth, russo-roumaines ensuite jusqu’à la mer ; les îles du Delta sont roumaines ; roumaine aussi, au large, l’île des Serpens. La Roumanie