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un congrès que, ce même mois, elle tenait à Berlin, lançait, au nom des protestans libéraux, un nouvel appel contre l’ultramontanisme ; mais l’Empereur la détestait ; c’est elle qui dans son Eglise détruisait la foi ; elle, encore, qui découronnait le Christ de sa dignité de Dieu ; ce n’est pas chez elle que Guillaume irait prendre ses conseils.

Le Landtag reprenait séance en novembre : de nouveau, les orateurs du Centre, Heereman et Dauzenberg, Windthorst et Pierre Reichensperger défilaient à la tribune, dressant le bilan de cette guerre que les protestans libéraux rêvaient de continuer. Et Reichensperger concluait : « S’il est trop pénible pour M. Falk de rebrousser chemin, il peut encore, pour écarter les rigueurs et les maux insoupçonnés et superflus qu’il a provoqués, rendre un service à l’Etat prussien : qu’il prie Sa Majesté de lui donner un successeur. » Le Centre considérait, — et c’est de quoi bientôt Bismarck se souviendra, — que déjà la seule retraite de Falk serait un prélude d’accalmie.

Ce mot de Reichensperger dessinait l’histoire future ; il n’eût pas tenu à Guillaume qu’il ne se réalisât immédiatement. La Gazette de la Croix, journal de ces pieux protestans que l’Empereur n’avait jamais cessé d’aimer, accusait la Prusse, ou peu s’en fallait, d’avoir commis le péché d’orgueil : « Les lois de Mai, y lisait-on, vinrent à une époque où l’Etat prussien, exalté par ses glorieuses victoires, eut le tort pardonnable de trop présumer de son omnipotence, et crut pouvoir jeter dans la mer de la grande politique, comme un lest inutile, les considérations de prudence. Cependant un grand vaisseau doit aussi compter avec le lest, sinon il deviendrait le jouet des vagues. »

Les mois succédaient aux mois, les discours aux discours, les articles aux articles ; le travail s’opérait au fond des âmes ; mais à la surface du royaume, le Culturkampf sévissait toujours. Le pilote du « grand vaisseau » prolongeait son congé ; on l’attendait. Les bruits les plus variés couraient à son sujet. Certains craignaient une crise, une retraite définitive. D’autres prétendaient qu’il allait se rapprocher des conservateurs. Kleist Retzow demeurait sceptique, et il avait raison. Bismarck laissait dire, parlait peu, écrivait moins encore, et cherchait les moyens de redevenir le maître, le vrai maître, d’être l’homme qui déciderait, tout seul, si sa politique des précédentes années devait être continuée, ou bien changée, si la législation des