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je veux dire de guerre qui nous touche, nous émeuve, évêque à notre esprit un passé en revivescence, un avenir en formation, une lutte où le sort de notre race soit clairement engagé. C’est un phénomène tout nouveau pour la France et pour les pays dont les civilisations lui sont le moins étrangères. L’Europe centrale et occidentale a-t-elle jamais connu ce prodige auquel nous venons d’assister : une paix de quarante ans ? Mais une autre raison, plus profonde, rend impossible la peinture de la guerre : c’est que la guerre n’est plus « esthétique. » Et elle n’est plus esthétique, parce qu’elle est invisible. L’expérience des dernières actions militaires, tant sur les flottes russes et japonaises, qu’au Transvaal, est décisive sur ce point : on ne voit pas l’ennemi. Le peintre ne peut donc montrer deux armées aux prises.

Il pourrait se borner à montrer les gestes d’un seul parti, mais les gestes particuliers au combat se réduisent à fort peu de chose. Ils ne diffèrent plus sensiblement des gestes d’un mécanicien, d’un arpenteur, d’un affûteur ou d’un cavalier ordinaires, en pleine paix. Les uniformes mêmes pâlissent. Le tableau de bataille n’est donc plus qu’un paysage animé par des fumées, bouleversé par des retranchemens, traversé par des ambulanciers, des télégraphistes, des automobiles, des bicyclistes : il peut y avoir, là, des sujets pittoresques, mais sans rien qui montre la lutte ou la bataille. Dans les tableaux de Lagarde qu’on a groupés, avenue d’Antin, on voit des ombres de soldats s’enfoncer dans l’ombre et la boue des bois, en hiver, devenir imperceptibles, méconnaissables, ressaisis par le grand mystère de la nature : c’est l’image à la fois et le symbole de la guerre moderne, et la fin de toute l’Esthétique des Batailles.

La peinture d’Histoire, en général, est frappée du même discrédit. Il n’y en a quasi plus aux Salons de 4911, qui mérite d’être retenue. Seul, le Chevalet de M. J.-P. Laurens, scène de torture par l’Inquisition au moyen âge, cherche à nous mettre en présence d’un incompréhensible passé. Mais est-ce de l’Art ? C’est peu de chose de plus qu’une réunion de figures de cire, façonnées et plantées là, comme dans un musée d’horreurs rétrospectives, pour faire comprendre le jeu des instrumens de torture. Un énorme Concours d’éloquence sous Caligula à Lyon, par M. Weerts, déployé sur l’escalier de l’avenue d’Antin, montre beaucoup de talent et d’effort dépensés pour