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l’impressionnisme, l’école des « ténébreux, » celle des intimistes, la sculpture « enveloppée, » le paysage historique, l’art nouveau, se dérouler les inévitables corollaires de problèmes déjà résolus par l’expérience dans la décade qui avait précédé. Ce qu’on ne voit pas du tout, en revanche, c’est se réaliser les prophéties enthousiastes de la critique à propos des tentatives nouvelles, — ou qui se disaient nouvelles, — quelles qu’elles fussent, ni les proscriptions de vieilles formes d’art qu’on disait mortes et qui n’étaient qu’enterrées. Aussi, faut-il se garder, en ces conjonctures, des apothéoses définitives et des inhumations précipitées. Elles tiennent souvent non à la nature des choses, mais aux humeurs des hommes, qui sont changeantes. Il faut démêler ce qui est dû à cette nature même et non à ces humeurs, ce qui est la conséquence inévitable de notre vie moderne et ce qui n’est qu’une réaction passagère contre l’engouement de la précédente génération. Il faut surtout tâcher de fixer quelles conditions nouvelles le cadre esthétique de la vie, l’évolution des sentimens et les progrès de l’éducation artistique dans la foule viennent imposer à l’artiste contemporain. Telle est la seule chance que nous ayons de voir un peu clair dans l’avenir qui confusément se prépare et de ne point trop mal placer nos « craintes » et nos « espérances pour l’art. »


I

Par « sentimens, » j’entends ici, nos sentimens « esthétiques, » c’est-à-dire notre manière, notre faculté ou notre désir de nous représenter les choses, en des formes qui touchent nos sens, et non pas du tout nos sentimens sur ces choses ou nos idées. Il y a bien entre les uns et les autres des liens subtils et secrets, mais ce sont les premiers seuls qui influent immédiatement sur l’Art. Un exemple saisissant nous en est donné, en ce moment, et depuis longtemps, par la décadence, on pourrait dire par la disparition, de l’Art religieux.

Il serait fort aventuré de prétendre que le sentiment religieux a disparu de la France et même que, dans les classes sociales qui s’imprègnent d’une pensée artistique, il se soit beaucoup affaibli. Ce serait même une question de savoir, s’il ne se ranime pas, ni ne s’affiche plus hautement, de nos jours, que du temps où Delacroix peignait le Châtiment d’Héliodore