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conserver la confiance de Ménélik en démontrant son absolu désintéressement territorial : le 20 mars 1897, notre ministre en Ethiopie, M. Lagarde, avait signé à Addis Ababa un traité qui acceptait pour notre colonie de la côte des Somalis, réduite à une étroite bande de terrain encerclant la baie de Tadjoura, une frontière qui ne passait qu’à 90 kilomètres de Djibouti.

Et, de fait, le Négous, malgré la présence près de son guébi de M. Rennell Rodd et de ses compagnons, ne cessa de se montrer secourable aux missions Clochette et de Bonchamps que notre politique envoyait au petit bonheur vers le Haut Nil. L’événement montra d’ailleurs qu’il était bien inspiré car, si, dans cette entreprise, les Français ne firent rien de bon pour eux-mêmes, ils se montrèrent encore une fois très serviables à l’Ethiopie en l’aidant à se donner les limites qu’exigeait sa sécurité.

Ce serait sortir de notre sujet que d’insister sur les circonstances qui ne permirent pas aux expéditions françaises d’être pour nos intérêts africains quelque chose de plus efficace que d’héroïques aventures. La mission de Bonchamps, chargée d’établir les Ethiopiens sur la rive droite du Nil Blanc, reçut en tout un viatique de 55 000 francs pour réaliser cette œuvre ardue : or, à ce moment, la colonie de Djibouti ne manquait pas de ressources et elle aurait pu, avec quelque bonne volonté, donner un tout autre appui aux hommes chargés de porter les drapeaux français et éthiopien dans la plaine nilotique. Notre marche à l’Est du Nil eut encore plus le caractère d’une aventure que celle de Marchand à l’Ouest, tout obligé que fut ce dernier de s’ouvrir la route à coups de fusil, dans la zone maritime même du Congo français, entre Loango et Brazzaville. Le marquis de Bonchamps et ses compagnons, Charles Michel, Bartholin, Faivre et Potter, réduits, faute de bateau, à patauger dans la zone des marécages, réussirent malgré tout, grâce à la supériorité du moral de l’Européen, à traîner leurs Ethiopiens presque jusque en vue de Nasser sur le Sobat. Mais là, vaincue par le foin géant du marais nilotique, dans l’épaisseur duquel il fallait ouvrir une route coupée de fondrières, ayant perdu par la faim et la fièvre la moitié de son effectif, la mission dut s’arrêter et retourner en arrière, le 30 décembre 1897.

Ce fut un épisode digne de tous les efforts tardifs, insuffisans, minuscules, par lesquels nous prétendions arrêter la marche