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envahit le Tigré et occupe Adoua et Axoum. Puis la conquête italienne descend vers le Sud et établit, en s’allongeant, une ligne de postes qui suit de près la ligne de faîte de la falaise d’où l’Ethiopie domine brusquement le désert Danakil. Nous n’avons pas besoin d’insister sur la campagne qui s’engage alors : c’est la page la plus généralement connue de l’histoire de Ménélik. Le Négous réunit lentement les contingens de l’Ethiopie méridionale : il faut longtemps pour mettre en branle cette masse de combattans suivis d’une foule de domestiques et de femmes qui portent et préparent les vivres. Il remonte non moins lentement vers le Nord, refoulant devant ses deux cent mille guerriers les avant-gardes italiennes. La colonne du major Toselli est anéantie. La garnison italienne de Makallé doit capituler. Ménélik, avec sa levée en masse, arrive au Tigré que les Italiens occupent déjà depuis un an. Le général Baratieri, devant le nombre, hésite. Grispi, qui paraît toujours ne pas comprendre, l’inquiète, l’excite par des télégrammes cinglans. « Tu es phtisique ! » dit l’un d’entre eux. Et Baratieri, sommé d’annoncer une victoire, ne peut manœuvrer avec la prudence nécessaire pour éviter d’être écrasé à Adoua sous la ruée furieuse de tous les bans de l’Ethiopie. Le régime crispinien en meurt ; l’humeur même de la politique italienne va être profondément changée par ce choc. En attendant, le rêve érythréen est abandonné, au moins pour un temps, et Ménélik conclut à Addis Ababa avec le major Nerazzini, le 26 octobre 1896, un traité par lequel l’Italie reconnaît la pleine indépendance de l’Empire du Négous.

Ménélik, dont ce coup d’éclat a fait un personnage « mondial, » va se trouver, à partir de son triomphe, en présence d’une tâche moins aisée que la résistance armée pour un barbare de génie, à l’esprit astucieux, mais façonné par et pour le milieu primitif que nous avons brièvement décrit. La conquête européenne, repoussée par la force, va se déguiser et menacer l’Ethiopie par l’intrigue. Ce pays qu’on n’a pas réussi à prendre d’un coup et de haute lutte, on pourra du moins l’enserrer, préparer son isolement, sa division et son asservissement final. Et dans ce travail, la politique anglaise reprend le pas sur celle de l’Italie qui s’efface, mais sans disparaître, car sa diplomatie à