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souverainement par Bismarck lui-même et par Bismarck tout seul. Il ne reconnaissait qu’à lui seul, dans l’Etat, le droit de parler de paix, parce que ce serait à lui de la fixer, à lui de l’imposer ; parce que ce serait à lui de clore, au jour qu’il voudrait, l’épisode actuel de la querelle séculaire entre le sacerdoce et le pouvoir civil. L’opinion publique, les conservateurs, la Cour, semblaient dès maintenant avoir choisi le jour, un jour assez proche. Halte-là : Bismarck n’était pas prêt ; l’on prendrait son jour, à lui.

D’urgence il mandait Busch ; il le chargeait de certains réquisitoires insolens, impitoyables, qui sans retard devaient paraître dans les Grenzboten. Toute une histoire de complot s’y déroulait. Augusta, reine de Prusse, impératrice d’Allemagne, était la principale inculpée ; le palais des Radziwill était l’endroit suspect où tous les complices se groupaient. Et Busch, commandé par Bismarck, répandait dans la presse toutes sortes de cancans sur les pourparlers de la souveraine avec Dupanloup, avec Mermillod, avec les Ursulines, avec les cercles catholiques du Rhin ; sur les dispositions ultramontaines de son entourage, sur les amitiés ultramontaines qu’elle avait nouées avec les Radziwill, et avec Gontaut-Biron. Sa fille, la grande-duchesse de Bade, était à son tour visée : on incriminait ses rapports avec la « prêtraille » d’Alsace, avec certains représentans de l’orthodoxie protestante, experts en l’art de parvenir, comme le canoniste Geffcken. Le grand-duc lui-même, coupable d’avoir disgracié son ministre Jolly, n’était pas épargné : à Rome, où il avait séjourné, il était tombé sous l’influence des cardinaux… On parlait de la femme de Guillaume, et de sa fille, et de son gendre, comme on parlait de certains fonctionnaires dont on demandait la tête : la famille impériale tout entière était accusée de cléricalisme. On enveloppait dans la même suspicion les protestans croyans de la Cour, toute cette « clique » qui déposait son poison dans la Gazette de la Croix ; on livrait à la risée du peuple allemand ce qu’on appelait la « bonbonnière, » toute pleine de « produits Gazette de la Croix » et de « confiture des Jésuites. » Tous ces faiseurs de complots, qu’ils relevassent du Pape ou qu’ils relevassent de Luther, voulaient aller à Canossa : c’était l’un de leurs crimes. Bismarck, lui, n’irait pas ; il trouvait tout de suite une occasion pour le redire à l’Allemagne, avec fracas, et, plutôt que d’aller un jour