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complètement un pays, les habitans se révoltent, et il faut partir en grande expédition pour recommencer. Alors seulement le pays est civilisé[1]. » Mais du moins, avec Ménélik, il arrivait un moment où la razzia cessait pour faire place à cette « civilisation » s’accompagnant d’une exploitation moins barbare. Les chefs, comme le firent à temps les rois du Djimma et du Motcha, purent même éviter tout pillage par une soumission aussi opportune que pleine d’humilité. Ils venaient, eux et leurs principaux guerriers, une pierre sur le cou, se prosterner aux pieds du lieutenant du Négous, qui ramenait sa chama (toge) jusqu’aux yeux, en signe de mépris. Ils entendaient énumérer d’une voix sévère les différens articles du tribut qu’ils auraient à payer et ne pouvaient laisser tomber leur pierre et se relever qu’après avoir tout promis et juré fidélité.

Il ne faudrait pas croire cependant que le système des garnisaires, qui remplaçait l’ancienne razzia, constituât un mode d’exploitation bien recommandable ; mais il était tout le progrès permis à l’organisation rudimentaire de l’Ethiopie et il contribua beaucoup à asseoir la puissance de Ménélik. Un seigneur recevait du Négous une terre de conquête et choisissait un sommet pour y établir son guébi sur le modèle de ceux que nous avons décrits plus haut. Sous lui les divers cantons avec leurs paysans gallas devenus gabares, ou serfs, étaient répartis entre un certain nombre de choums, petits chefs, ayant chacun ses soldats ; il arrivait souvent qu’un simple soldat obtînt, au bout de dix années de services, une petite terre et quelques gabares.

Les redevances de ces serfs sont infinies. Ils paient la dîme au seigneur qui la perçoit naturellement avec bien moins de ménagemens que dans les vieux pays éthiopiens. Si le gabare appartient plus spécialement à un soldat, il doit, en outre, lui apporter chaque mois des provisions. Il fournit au choum les moyens de se procurer la chama, le pantalon et la chemise que le soldat doit toucher tous les six mois, ainsi que le burnous auquel ce dernier a droit chaque année. Si le chef donne un guêbeur, un de ces repas pantagruéliques dans lesquels les guerriers éthiopiens engloutissent force viandes crues ou pimentées, le serf galla en fait les frais. On lui prend encore par réquisition ce qu’il faut aux armées et aux personnages de marque qui

  1. Vers Fachoda.