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Quand Zoroastre parvint à sa caverne, aux premiers jours du printemps, il neigeait encore dans l’Albordj, et le vent était rude, sous les cimes blanches, dans la forêt de cèdres. Les pâtres qui l’avaient conduit lui firent du feu, puis le laissèrent seul. Et le prophète fatigué et rassasié de jours se mit à songer en contemplant la danse des flammes rouges et claires sur le bois résineux. Il repensa toute sa vie et la contempla comme un seul tableau. Il la revit comme un grand fleuve aux cent détours, aux mille affluens, il la vit de la source à l’embouchure. Le clair ruisseau des hauteurs était devenu une large rivière, et la rivière un fleuve roulant sur le sable, écumant contre les falaises. Des cités avaient surgi sur ses bords et des navires glissaient à sa surface. Et voici que la majesté du fleuve allait se perdre dans l’immensité de l’Océan !… La tâche était faite, les Aryas étaient libres. Mais maintenant, qu’allait devenir sa race ?

La nuit tombait, il faisait froid. Le vieux prophète grelottait près de son feu. Alors il s’écria : « O divin seigneur Ormuz, me voici près de ma fin. Je me suis dépouillé, j’ai tout sacrifié à mon peuple, j’ai obéi à ta voix. Pour devenir Zoroastre, Ardjasp a renoncé-à la divine Ardouizour ; et Zoroastre ne l’a plus revue. Elle s’est évanouie dans les limbes de l’espace et le seigneur Ormuz ne l’a point rendue à son prophète. J’ai tout sacrifié à mon peuple pour qu’il ait des hommes libres et de fières épouses. Mais aucune d’elles n’a la splendeur d’Ardouizour, la flamme dorée qui tombait de ses yeux… Que du moins je connaisse l’avenir de ma race !… »

En murmurant ces mots, Zoroastre entendit le roulement d’un tonnerre lointain, accompagné du frémissement de mille boucliers de bronze. Le bruit grandit en se rapprochant et devint terrible. Toutes les montagnes tremblaient, et la voix du Dieu irrité semblait vouloir déraciner la chaîne de l’Albordj.

Zoroastre ne put que s’écrier : « Ahoura-Mazda ! Ahoura-Mazda ! » Et le prophète épouvanté s’évanouit, la face contre terre, sous la voix grondante du ciel.

Aussitôt Zoroastre revit Ormuz dans toute sa splendeur, tel qu’il l’avait vu au premier jour de sa révélation, mais sans sa couronne de Férouers et d’Amsohapands. Seuls les trois animaux sacrés, le taureau, le lion et l’aigle, soutenant son trône