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que pas à pas. Sur chaque terre conquise Zoroastre faisait planter le camp formé de palissades, germe d’une cité future. Au centre, l’autel du feu sous un portique entouré de cyprès, souvent près d’une source. Des mobeds, ou prêtres, furent institués, et des destours, ou docteurs de la loi. Défense, sous peine de mort, à ceux de la religion mazdéenne de donner leurs filles aux Touraniens ou d’épouser des Touraniennes. Zoroastre donnait pour exemple, à ses laboureurs guerriers, les animaux sacrés, leurs compagnons et collaborateurs, le chien fidèle, le cheval alerte, le coq vigilant. « Que dit le chant du coq ? Il dit : Tiens-toi debout, il fait jour. Celui qui se lève le premier, entre en paradis. » Comme tous les vrais initiés, Zoroastre n’ignorait pas la loi de la réincarnation, mais il n’en parlait point. Il n’entrait pas dans sa mission de la révéler. Cette idée eût détourné la race aryenne de son œuvre prochaine, la conquête du sol par l’agriculture et la cristallisation de la famille. Mais il enseignait à ses adeptes le principe du Karma sous sa forme élémentaire, à savoir que l’autre vie est la conséquence de celle-ci. Les impurs vont au royaume d’Ahrimane. Les purs s’en vont, sur un pont de lumière, construit par Ormuz, brillant comme le diamant, aigu comme le tranchant d’une épée. Au haut de ce pont, les attend un ange ailé, beau comme une vierge de quinze ans et cette vierge leur dit : « Je suis ton œuvre, je suis ton vrai moi, je suis ta propre âme sculptée par toi-même[1] ! »

Toutefois Zoroastre portait au fond de lui-même une tristesse indicible. La terrible mélancolie des prophètes, rançon de leurs extases, l’accablait quelquefois. Son œuvre était vaste comme les horizons de l’Iran, où les montagnes fuient derrière les montagnes, et les plaines au bout des plaines. Mais plus Ahoura-Mazda l’attirait à lui, et plus la grandeur du prophète le séparait du cœur des hommes, quoiqu’il vécût au milieu d’eux dans la lutte. Parfois, aux soirs d’automne, les femmes portant leurs gerbes de moisson défilaient devant lui. Quelques-unes s’agenouillaient et présentaient leur gerbe de blé au prophète assis sur une pierre, près de l’autel des champs. Il

  1. Voyez dans le Zend-Avesta (traduction d’Anquetil-Duperron, l’héroïque découvreur de la langue zend et de la religion persane primitive) le récit d’une sorte de tentation de Zoroastre par Agra-Mayniou (Ahrimane). Suivent les moyens de combattre Ahrimane par des prières et des invocations. Le chapitre se termine par une description du jugement de l’âme entrevu par Zoroastre en une sorte de vision (Vendidad-Sadé, 19e Fargard).