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voulaient ordonner l’effort de leurs savans. En face de ce libéralisme qui sur les lèvres d’un Sybel s’affichait comme réactionnaire, il leur plut de fêter le centenaire de Goerres, l’avocat des peuples, de Goerres, l’avocat de Dieu ; ils le fêtèrent en fondant une société de savans, dont le baron de Hertling, M. Cardauns, M. Julius Bachem, dressèrent le programme, et qui devait aider de jeunes chercheurs catholiques à se faire un nom dans la science. D’étranges disgrâces frappaient, dans l’enseignement supérieur, les catholiques notoires : il devenait fort malaisé pour eux d’obtenir des chaires importantes. L’Académie de Munster, où n’enseignaient naguère que des catholiques, avait été elle-même ouverte, en 1874, à des professeurs de toutes confessions : un tel prestige s’attache, là-bas, à la toque des professeurs, qu’il déplaisait à l’Etat prussien d’en coiffer des têtes d’ultramontains. Mais sous les auspices de la Société de Goerres, les catholiques feraient œuvre de science, sans attendre pour cela le bon plaisir de l’Etat. Et parmi les projets qu’ils développaient, figurait celui d’un Dictionnaire d’État qui devait, en face des contradictions où se débattaient leurs ennemis nationaux-libéraux, exposer à l’opinion allemande les principes catholiques sur l’organisation des sociétés humaines. C’est d’une certaine conception de l’Etat qu’étaient partis les juristes du Culturkampf : M. Julius Bachem estimait que les catholiques, pour vaincre, devaient se rendre compte à eux-mêmes, d’une façon sereine et scientifique, de leurs propres idées sur le droit public et sur la souveraineté de l’Etat. En face de livres comme le dictionnaire de Bluntschli et Brater, allait se préparer, lentement, une encyclopédie politique, sans cesse remaniée, sans cesse rajeunie, dans laquelle l’Etat n’apparaîtrait pas comme une fin en soi, absolue, détachée de Dieu, mais comme un facteur nécessaire dans le grand plan divin. L’heure où Sybel, absorbé par les bagarres de la politique quotidienne, visait à contenir et à limiter les libertés populaires de crainte qu’elles n’étayassent la liberté de l’Eglise, était celle-là même où l’élite catholique, s’évadant de ces bagarres, planant au-dessus des polémiques, allait évoquer et maîtriser, dans un long et pacifique répertoire, tous les problèmes politiques, économiques et sociaux. Il semblait que la Prusse et les nationaux-libéraux, désormais dénués de tout principe stable, multipliassent les expédiens de guerre, pour retenir le présent qui leur échappait ;