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question : « A qui voudriez-vous ressembler ? » Et par là il se flatte d’avoir déterminé l’idéal de chacun d’eux.

Ces procédés sont ingénieux et ils ne sont pas sans utilité, à la condition qu’on ne s’y tienne pas. Certes, un enfant, s’il est myope, le restera, mais ce n’est pas une raison pour qu’il soit moins bon observateur. Il y a des gens qui sont à même de tout voir, mais qui malheureusement ne regardent rien : ceux qui sont obligés de regarder de près voient souvent beaucoup plus et beaucoup mieux qu’eux. Qui dira le genre de tempérament, le degré de force musculaire ou de richesse sanguine ou de vivacité nerveuse qui favorise le plus l’ardeur au travail ? Les uns sont paresseux à l’école parce qu’ils sont maladifs, les autres le seront parce que, se portant trop bien, ils voudraient à tout prix le grand air et le remuement. Mais qui dira même exactement où est le gage d’une santé parfaite ? et surtout qui prétendra découvrir l’organe et la fonction dont l’activité garantira le mieux le bon équilibre de l’ensemble ? La classification des enfans en bien doués ou mal doués pour la mémoire, j’irai jusqu’à dire en intelligens et en peu intelligens (les arriérés mis à part), en enfans ayant de la volonté et en enfans n’en ayant pas, tout cela est, — en cours d’éducation, — quelque chose de très conjectural et de hasardeux. Il est des natures qui lancent des traits pétillans, mais destinés à s’éteindre les uns après les autres : ce sont des traits d’esprit, des remarques piquantes, des esquisses originales, mais il en reste peu de chose. Il en est d’autres, et quelquefois tout à côté, où le feu couve sous la cendre : il attend les alimens et aussi le souffle qui lui conviendront le mieux, et alors le foyer ne faiblira plus.

En dehors de quelques natures exceptionnelles, aucun homme ne peut être universel : tous sont obligés de choisir plus ou moins tôt ou de se laisser assigner une destination particulière. On a ainsi un ouvrier intelligent, un fermier intelligent, un éducateur intelligent, un médecin intelligent : un homme qui aurait la prétention de se dire très intelligent, sans occuper son intelligence à rien de suivi, aurait bien des chances de n’être qu’un raté. C’est qu’en effet l’intelligence est nécessairement l’intelligence de quelque chose et de quelque chose qui vaille la peine d’être bien connu. Or ce qui vaut la peine d’être connu est de son côté quelque chose qui dure et où tout se tient et se coordonne. L’intelligence d’un homme et aussi celle d’un