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l’autre en saisissant de ses petites mains le sein de sa mère et en l’offrant, avec un sourire engageant : elle voulait en faire profiter ceux qu’elle aimait…

Ce qui prouve plus que tout le reste à quel point l’idée de bonté est vite familière à l’enfant, c’est la facilité avec laquelle il accepte l’idée du bon Dieu, du bon Jésus, de la bonne Sainte Vierge. Il a besoin, dira-t-on, de croire qu’il y a de la bonté partout et il se persuade aisément qu’il sera le premier à en profiter, comme il serait le premier à souffrir d’une puissance malfaisante. Oui, mais il pourrait tout aussi bien être obsédé par l’idée d’un mauvais génie, tandis que c’est bien la confiance qui tient à dominer dans son âme. « L’enfant, répétait souvent le Père Gratry, voit Dieu dans son père, » et il donnait des exemples fréquens de cette foi dans la science sans bornes et dans la force sans limites du chef de famille. Il eût pu tout aussi bien dire que l’enfant voit en Dieu un père universel dont la puissance est invoquée, quand celle du père selon la nature commence, au contact de l’expérience, à laisser voir ses inévitables défaillances. Les deux propositions se tiennent : car l’enfant ne fait ici, sans le savoir, que pratiquer la « dialectique » platonicienne. Comme l’auteur du Banquet et du Phédon, de ce qu’il voit et éprouve d’impuissante bonté il s’élève à la conception d’une bonté parfaite ; il soupçonne, il accepte de tout cœur la parenté de l’une et de l’autre, ne se défendant pas d’humaniser la seconde et ne demandant qu’à diviniser la première aussi longtemps que cette illusion lui sera permise.

Beaucoup réduiraient volontiers tout l’élan religieux des enfans à leurs requêtes intéressées de la nuit de Noël : mais ces requêtes sont souvent relevées de sentimens pleins de délicatesse. Il n’est pas difficile d’inspirer à celui qui les adresse de demander aussi pour les petits pauvres : il acceptera parfaitement cette fraternité entre l’enfant divin, les enfans malheureux et lui-même. Son élan va quelquefois plus loin encore. Une fillette de six ans, très précoce, il est vrai, très souvent occupée de sa petite personne et très désireuse que rien ne froisse son amour-propre naissant, n’oublie pas, aux approches de la dernière Noël, d’écrire (et toute seule ! ) la lettre habituelle au divin petit dispensateur des faveurs dues aux enfans sages (dont elle est bien assurée de faire partie). Elle s’interrompt une fois dans l’enchevêtrement de son écriture : « Je lui demande peut-être