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tantôt c’est par le nom sous lequel il se désigne lui-même qu’il débute, mais il agglutine en quelque sorte le tout. Ainsi, un enfant de deux ans qui, — je ne sais plus trop pourquoi, — appelait une musique militaire « toutou, » s’écriait, quand on s’apprêtait à l’habiller : « Voir toutou robe » ce qui signifiait : je veux qu’on me mette la robe que j’avais quand j’ai entendu la musique et je veux aller l’entendre encore une fois. De tels exemples surabondent. La décomposition des phrases, l’union logique des fragmens réalisée par les mots grammaticaux, l’intelligence des formes uniquement faites pour exprimer des rapports, tout cela, dans l’échange du langage enfantin contre le langage des adultes, suppose une action prépondérante des adultes mêmes. Il est probable qu’à lui seul l’enfant serait long à le trouver et surtout à le manier : il continuerait sans doute à y suppléer par le geste montrant successivement sa propre personne, puis les personnes et les choses avec lesquelles il veut voir s’établir les relations qui l’intéressent.

Il n’en est pas de même du vocabulaire, lequel, en somme, contient tout l’essentiel de la langue.

On sait que la distinction d’une note et d’une autre note donne la clef de toute la musique. De même, la perception d’un rapport entre signe et chose signifiée, quel que soit le signe, quelle que soit la chose, est la clef de tout langage. Quand la sœur Sainte-Marguerite, des filles de la Sagesse de Larnay, près Poitiers, reçut la jeune Marie Heurtin sourde-muette et aveugle, celle-ci était bien faite pour illustrer la première description que donne saint Augustin de cette agitation toute en dedans, douloureuse et encore stérile. La petite séparée, murée dans son organisme presque sans fenêtres, était prise d’accès de colère effrayans ; sa seule ressource était de se rouler par terre, car elle ne trouvait aucun moyen de « donner à autrui entrée dans son âme. » Mais la sœur s’avisa, comme on sait, de renouveler plusieurs fois des échanges alternatifs entre un objet auquel l’enfant tenait beaucoup (un couteau) et un certain signe tactile (une main posée en travers sur l’autre main). L’enfant a compris : dès lors tout a été, non pas certes facile, mais possible ; car de ce simple signe est sorti tout un système de signes analogues qui ont révélé successivement à la prisonnière les arts usuels, la géographie, l’histoire sainte, le catéchisme. De la sauvage furieuse du début on a fait une jeune fille adroite,