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pu ajouter]. Et quand ma parole décidait un geste, un mouvement vers un objet, rien ne m’échappait, je reconnaissais que le son précurseur était le nom de la chose : le vouloir m’était révélé par le mouvement du corps, langage naturel et universel que parlent la face, le regard, le geste, le son de la voix où se produit l’élan de l’âme pour obtenir, posséder, rejeter ou faire. Attentif au retour fréquent des paroles exprimant des pensées différentes, je notai peu à peu leur signification, et je parvins ainsi à pratiquer l’échange des signes expressifs de mes sentimens. »

Dans la dernière partie de cette analyse, on n’aura pas été sans remarquer le mot très significatif d’ « échange. » C’est peut-être le plus profond et le plus scientifique qui ait été dit sur l’origine indéfiniment remise en cause et indéfiniment renouvelée du langage. L’enfant essaie d’abord de faire comprendre ses volontés : il s’applique à comprendre celles des autres, et la mère ne fait accepter de lui son propre vocabulaire qu’en faisant expérimenter à l’enfant comment ce vocabulaire équivaut au sien, l’éclaircit et le complète par un nombre croissant de subdivisions et d’analogies.

Il restait toutefois dans cette analyse une certaine lacune. Entre les vagues mouvemens des premiers sons et les efforts attentifs de mémoire si bien décrits, il y a une période où le petit être trouve à lui seul de véritables mots que nous devons nous appliquer nous-mêmes à comprendre. C’est ce langage enfantin que des observateurs pénétrans, depuis M. Emile Egger jusqu’au plus récent, M. Léon Linder, se sont efforcés d’analyser.

Il faut distinguer ici (tous les penseurs ne l’ont pas fait) le vocabulaire et la syntaxe. La syntaxe est le résultat de longs tâtonnemens et d’efforts séculaires d’adaptation nationale. Pour arriver seulement de la déclinaison latine à la déclinaison française, que de temps n’a-t-il pas fallu ! Les lois essentielles de la syntaxe résistent à la fantaisie, comme y résiste la logique. La forme première qu’elle revêt chez l’enfant est à peine une forme, c’est une sorte d’enveloppement synthétique ; car même quand il commence à mettre trois ou quatre mots à la suite les uns des autres pour tenter de composer une phrase, il les accumule sans liaison réfléchie ; tantôt il jette en tête le mot désignant ce qui le préoccupe le plus, c’est-à-dire l’attire ou lui fait peur,