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L’ENFANT

Faire beaucoup parler de soi n’est pas toujours un bon signe. Il fut un temps où l’on dissertait peu sur la patrie, on la servait ; on mourait pour elle. On ne chantait pas l’inquiétude religieuse, on ne scrutait pas la part de la subconscience dans la croyance : on croyait. On ne faisait ni l’histoire de la famille, ni l’analyse des facultés de l’enfant : on se mariait, on avait beaucoup d’enfans, et on les élevait pour les marier à leur tour le plus tôt possible et avoir ainsi des petits-enfans. Aujourd’hui, il est bien à craindre que ce ne soit l’inverse. Les éditeurs, qui ne publiaient jusqu’ici que des livres de science et de libre pensée, nous disent en leur langage professionnel : « La religion, c’est devenu très bon. » Un livre qui est consacré à la critique de l’idée religieuse, à l’histoire des religions, aux rapports de la religion et de la métaphysique est sûr de se vendre. Il n’est pas sûr du tout que ses lecteurs pratiquent une religion quelconque. Tel homme qui se garderait bien d’ouvrir un livre de messe achètera de grosses thèses de doctorat sur la croyance, sur le mysticisme, sur la prière. De même, alors que le nombre des enfans va tous les jours en décroissant, se multiplient les ouvrages les plus étudiés sur l’évolution de l’enfant, sur l’enfant et la race, sur l’esprit et le cœur de l’enfant. Je ne crois pas qu’il y ait là de quoi justifier l’optimisme d’un certain auteur allant jusqu’à dénommer « le siècle de l’enfant » une époque où on a des enfans le moins possible.

La patrie, la religion, l’enfant, auraient-ils le sort de ces antiquités qu’on admire, mais commodes objets de luxe enlevés