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Et c’est pourquoi, de nos jours encore, les croyances chrétiennes sont demeurées si vivaces sur le sol breton. On a tout dit sur la profondeur et la persistance de la foi religieuse dans la vieille province ; on sait l’influence qu’exerce sur ses paroissiens le curé breton, — « le recteur, » comme ils disent, — et tout ce qu’il peut obtenir d’eux. Taine, il y a cinquante ans, voyageant en Bretagne, notait avec curiosité l’attitude des fidèles à l’église : « Rien de véhément, d’ardent : seulement, ils ont l’air pris tout entiers ; c’est la plénitude de la croyance et de l’attente. Qui n’a pas vu en effet prier dans une église bretonne ignore peut-être ce que c’est que la prière et que la foi… Le monde extérieur n’existe plus pour ces êtres que le bruit de nos pas n’a point troublés : les yeux ouverts, profonds, immobiles, semblent contempler l’invisible ; les lèvres murmurent de vagues paroles, et disent la supplication tendre, l’appel balbutiant au Sauveur ; les fronts les plus vulgaires, les plus chargés de rides et d’ennuis, paraissent comme éclairés du dedans ; tout le corps incliné, à la fois humble et confiant, exprime l’adoration, l’élan intérieur, le recueillement, l’attente. Quand ils sortent de là, visiblement rassérénés, pacifiés, plus forts pour supporter la vie, un rayon d’idéal a lui sur leur misère, et, dans un acte d’amour, ils ont dit toute la poésie de leur âme au Dieu sensible au cœur… »

« O pères de la tribu obscure au foyer de laquelle je puisai la foi à l’invisible, s’écrie Renan quelque part, Dieu m’est témoin, vieux pères, que ma seule joie, c’est que parfois je songe que je suis votre conscience, et que, par moi, vous arrivez à la vie et à la voix. » René, lui aussi, aurait pu tenir ce langage. — Il fallait essayer de pénétrer jusqu’à cette « âme invisible et présente » de la terre d’Armor pour mieux comprendre celui qu’un historien breton a justement appelé « le plus grand poète de la race celtique, Chateaubriand. »


III

C’était une idée chère à Gœthe que toute famille qui dure et se maintient dans son intégrité finit par produire à la longue un individu qui en ramasse puissamment tous les traits épars et successifs, qui l’exprime, en un mot, supérieurement et tout entière : de telle sorte que, si l’on connaissait exactement la lointaine série d’ancêtres qui l’ont précédé dans la vie, on serait