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transfigurer, à diviniser l’être aimé, et, par-delà la « sylphide » terrestre, à poursuivre obstinément l’idéale beauté dont elle est un reflet obscur. Conception dangereuse, certes, autant que séduisante, et qui, glorifiant la passion, la revêtant de tous les prestiges de la poésie, en proclame la fatalité, en légitime les égaremens, en sanctionne la souveraineté, et, pour tout dire, en justifie l’obscur égoïsme ; mais aussi conception qui, dans les âmes nobles, peut inspirer le dévouement, conseiller l’héroïsme, qui, en fait, a renouvelé, avec les mœurs, les littératures modernes, et à laquelle, peut-être, nous avons dû la chevalerie. L’amour ainsi conçu et ainsi pratiqué, c’est plus que de la poésie : c’est déjà de la religion.

Et la religion, cette forme supérieure de l’idéalisme, est aussi l’un des élémens du génie breton. Le Breton est naturellement religieux ; tout l’y incline : son goût du mystère, sa passion de l’infini, sa curiosité de l’au-delà, sa tristesse, et « l’invincible attrait » qu’il a pour les choses de la mort, son désir d’immortalité, le tour de son imagination et ses facultés poétiques, son besoin d’aimer enfin, et d’aimer d’un amour éternel. Il faut dire plus : il faut répéter le mot si juste de Renan, que le Breton est « naturellement chrétien. » « La douceur des mœurs et l’exquise sensibilité des races celtiques, écrit-il encore, jointes à l’absence d’une religion antérieure fortement organisée, la prédestinaient au christianisme. » Rien de plus exact. Pour ne toucher ici qu’un seul point de cette sorte d’harmonie préétablie qui existait entre l’âme bretonne et la religion chrétienne, songeons comme le culte de la Vierge mère s’accommodait bien de l’idée toute mystique que les Celtes se formaient de la femme. Aussi, la religion nouvelle n’eut-elle aucune peine à pénétrer en Armorique, à y implanter fortement ses dogmes, ses institutions et son esprit. D’autre part, comme pour redoubler, consolider et perpétuer cette première influence, l’action des premiers évêques et des premiers saints, des moines « âpres à l’apostolat » a été, dans la vieille péninsule, plus profonde et plus heureuse peut-être que partout ailleurs : non seulement ils ont civilisé, ils ont, à la lettre, fondé le peuple breton d’Armorique. De tels services ne s’oublient guère. « Dans l’histoire des choses humaines, a-t-on pu dire, cette œuvre leur assure une gloire ineffaçable, et dans le cœur de tout Breton une reconnaissance mêlée de respect et de tendresse toujours vivante. »