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autres, brament vers cet infini… ? » Son unique secret, c’est peut-être de familiariser les âmes avec la pensée de la mort.

De cette soif d’idéalisme procède sans doute aussi l’étonnante « poésie des races celtiques. » Certes, on peut concevoir, et il existe en fait, des poésies purement naturalistes, qui s’efforcent et qui réussissent à se modeler sur le réel, à en suivre les contours, à en dessiner les formes visibles ; mais ce ne sont ni les plus puissantes, ni les plus hautes, ni les plus « poétiques, » pour tout dire : les Émaux et Camées ne valent pas les Méditations, et les Idylles de Théocrite ne valent pas la Divine Comédie. La vraie poésie, comme la vraie philosophie, est celle qui dédaigne le décor changeant des choses, et qui, sans s’arrêter aux apparences, va droit jusqu’à l’invisible. Pour avoir plus que toute autre adoré l’idéal et recherché l’éternel, la race bretonne a mérité de doter le monde moderne d’une poésie incomparable. Poésie exquise, où les sens n’ont presque point de part, poésie d’un charme si prenant que, jadis, il y a sept ou huit siècles, elle n’eut qu’à se révéler à nos pères pour enchanter, pour conquérir toute l’Europe chrétienne, et qu’aujourd’hui encore, à travers la musique de Wagner, elle suffit à verser l’apaisement à nos âmes fatiguées et endolories.

L’idéalisme invétéré des Bretons se marque encore dans leur conception de l’amour. Cette race a littéralement inventé une nouvelle manière d’aimer. « Aucune famille humaine, je crois, dit Renan, n’a porté dans l’amour autant de mystère. Nulle autre n’a conçu avec plus de délicatesse l’idéal de la femme et n’en a été plus dominée. C’est une sorte d’enivrement, une folie, un vertige. » Rien ici de cette grivoiserie narquoise qui déshonore les productions de l’esprit dit « gaulois, » les Contes de La Fontaine et les Chansons de Béranger ; rien non plus de cette griserie sensuelle qui est propre aux peuples du Midi. Mais un sentiment profond et grave qui remplit l’âme tout entière, qui l’exalte, qui l’élève au-dessus d’elle-même, qui la rend capable des plus nobles dévouemens et des plus complets sacrifices, un sentiment dont l’ardeur n’exclut pas la pureté, et qui, dans ses erreurs mêmes, garde je ne sais quelle noblesse native et quel inaltérable sérieux ; par-dessus tout, peut-être, un besoin passionné de se donner, de s’oublier et de se fondre en autrui, et, Sans cette ferveur d’immolation volontaire, une soif mystique d’adoration et d’immortalité, une irrésistible tendance à