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« faux art » de naguère, le temple désormais immortel de « l’art de l’avenir. » Entrevoir de loin sa noble figure, entendre sortir une parole de ses lèvres, ou même simplement être admis à visiter les lieux où s’achevait la splendide épopée de son existence, c’était pour nous un privilège dont le souvenir, maintenant encore, nous fait frémir d’émotion pieuse ; et je pourrais nommer plus d’un de mes anciens collaborateurs de la Revue Wagnérienne que le souvenir de la mort de Wagner continue de pénétrer d’une douleur presque filiale, aussi vive et cruelle qu’au premier jour, voilà bientôt trente ans !

Il est vrai que, depuis lors, la forte et douce voix du « Mage vénéré » n’a pas cessé de se faire entendre à nouveau parmi nous, sous la forme d’innombrables lettres que nous ont livrées tous ceux qui, à un degré quelconque, avaient eu l’insigne honneur d’être ses amis, ou seulement d’entretenir des rapports avec lui. Plus d’une fois j’ai eu moi-même à signaler ici telles de ces correspondances de Richard Wagner, dont quelques-unes nous apportaient effectivement une image fidèle de son caractère ou un vibrant écho des battemens de son cœur, tandis que d’autres n’étaient remplies que d’un vain murmure de paroles banales, et que d’autres encore, il faut l’avouer, constituaient un attentat sacrilège contre sa mémoire, — soit qu’elles nous vinssent de prétendus amis qui ne craignaient pas de fausser le sens de ses lettres en les entourant de commentaires mensongers, ou parfois qu’elles nous exposassent à nous tromper non moins fâcheusement sur sa nature et ses sentimens véritables en étalant sous nos yeux, sans l’ombre d’explication, des documens d’ordre tout intime, et dont l’accès aurait dû nous être à jamais interdit. Mais pour instructives et belles que nous semblassent des lettres comme celles que Wagner écrivait, par exemple, à Liszt, à Rœckel, à ses vieux compagnons du théâtre de Dresde, toujours nous éprouvions en face d’elles une sorte de gêne, et d’autant plus grande que l’auteur de ces lettres nous était plus cher : avec l’impression pénible comme de les lire indiscrètement par-dessus l’épaule de leurs destinataires. Les plus hautes pensées et les confidences les plus attachantes que nous y découvrions, nous ne pouvions oublier qu’elles s’adressaient à d’autres personnes, sans que Wagner eût songé à nous en les exprimant ; et nous savions, au contraire, qu’il y avait quelque part un gros manuscrit de sa main où, précisément, il ne parlait qu’à nous, à tous ceux qui l’avaient recherché et aimé, pour dévoiler devant nous son existence tout entière, avec cette sincérité ardente et cordiale qui sans cesse, de son